Gaïa

Le drame, c’est que l’intrusion de Gaïa survient au moment où jamais la figure de l’humain n’a paru si inadaptée pour la prendre en compte. Alors qu’il faudrait avoir autant de définitions de l’humanité qu’il y a d’appartenances au monde, c’est le moment même où l’on a enfin réussi à universaliser sur toute la surface de la Terre le même humanoïde économisateur et calculateur. Sous le nom de globalisation ou de mondialisation, la culture de cet étrange OGM – de son nom latin Homo œconomicus – s’est répandue partout… Juste au moment où l’on a un cruel besoin d’autres formes d’homodiversité ! Pas de chance vraiment: il faut affronter le monde avec un humain réduit à un tout petit nombre de compétences intellectuelles, doté d’un cerveau capable de faire de simples calculs de capitalisation et de consommation, auquel on attribue un tout petit nombre de désirs et que l’on est enfin parvenu à convaincre de se prendre vraiment pour un individu, au sens atomique du mot. Au moment même où il faudrait refaire de la politique, on n’a plus à notre disposition que les pathétiques ressources du « management » et de la « gouvernance ». Jamais une définition plus provinciale de l’humanité n’a été transformée en un standard universel de comportement. (…)

Bruno LATOUR, Gaïa, figure (enfin profane) de la Nature, 3e des Huit conférences sur le nouveau régime climatique, p. 143

Le développement personnel

C’est un truisme que de dire, comme tant l’ont fait, que la pratique artistique est un formidable vecteur de développement personnel. Cependant, je pense qu’il est indispensable de le répéter – parce que cela semble dépourvu d’évidence pour les organisateurs de l’éducation nationale; et pour apporter ici un éclairage un peu différent.

La pratique artistique ouvre deux portes: celle du développement de la singularité et celle de l’expression de l’intime.

La singularité.

J’emprunte à Charles Juliet la belle formule: Dissoudre le moi, laisser advenir le soi.  Ou comment la pratique d’un art peut être comprise comme un processus de développement de la singularité (le soi) contre l’individualité (le moi)1. Nous vivons dans un monde plein de contradictions, dont celle-ci – qui n’est pas la moindre et dont les dégâts sont considérables: jamais les techniques du soin de soi n’ont été autant développées alors qu’en même temps tout est mis en oeuvre pour assurer la promotion d’une souveraineté pathologique du moi (P.Virilio).2 Continuer la lecture de « Le développement personnel »