Juliette, encore

En janvier 2010, Juliette Binoche était sur France Culture, dans une série d’entretiens qu’elle accordait à Jérôme Clément1. Je trouve toujours absolument remarquable la connaissance qu’elle a de son art, la compréhension de son métier. C’est une des artistes les plus intéressantes que je connaisse.

Dans le premier entretien – celui du 4 janvier, elle parle de la volonté, cette volonté de bien faire, … Elle dit: Cette volonté doit être cassée. Parce qu’on n’avance pas qu’avec la volonté, on avance aussi avec les laisser-faire, avec les arrêts, avec les brisures. Et là aussi, on a besoin de l’autre pour nous arrêter.

Et un peu plus loin: L’écoute, ce n’est pas une maîtrise. L’écoute de l’autre, c’est se laisser porter ; même s’il y a une négociation interne avec le désir qu’on a de soi et le désir de l’autre, mais cette négociation est magique quand il y a synergie, … qu’on ne sait plus qui crée quoi.

Le développement personnel

C’est un truisme que de dire, comme tant l’ont fait, que la pratique artistique est un formidable vecteur de développement personnel. Cependant, je pense qu’il est indispensable de le répéter – parce que cela semble dépourvu d’évidence pour les organisateurs de l’éducation nationale; et pour apporter ici un éclairage un peu différent.

La pratique artistique ouvre deux portes: celle du développement de la singularité et celle de l’expression de l’intime.

La singularité.

J’emprunte à Charles Juliet la belle formule: Dissoudre le moi, laisser advenir le soi.  Ou comment la pratique d’un art peut être comprise comme un processus de développement de la singularité (le soi) contre l’individualité (le moi)1. Nous vivons dans un monde plein de contradictions, dont celle-ci – qui n’est pas la moindre et dont les dégâts sont considérables: jamais les techniques du soin de soi n’ont été autant développées alors qu’en même temps tout est mis en oeuvre pour assurer la promotion d’une souveraineté pathologique du moi (P.Virilio).2 Continuer la lecture de « Le développement personnel »

Un seul art

Difficile, pour un homme ordinaire, de pratiquer deux arts à la fois. Ils sont rares ceux qui ont pu développer deux pratiques artistiques, et ce n’est pas par hasard qu’on se souvient du violon de monsieur Ingres … Plus près de nous, une artiste qui me touche et dont j’admire le talent, Juliette Binoche, est à la fois comédienne, danseuse et peintre. Mais, à l’écouter et à la suivre, on comprend qu’en toutes choses elle a placé un travail considérable, avec une énergie et une détermination dont peu sont capables. En tout cas, pour un praticien amateur qui n’a pas la possibilité de se consacrer entièrement à son travail artistique parce qu’il exerce par ailleurs un métier1, une seule pratique artistique, c’est beaucoup.

C’est beaucoup, parce que l’engagement réel, approfondi, qui aboutit à une véritable maîtrise, requiert énormément d’énergie. Et, en tout premier lieu, une attention constante, une écoute et une ouverture à tout ce qui peut alimenter la pratique de cet art. Je m’oppose à ceux qui veulent faire croire que certaines pratiques sont plus faciles que d’autres et demandent donc beaucoup moins de travail. Il existe, dans le milieu choral français, une imposture assez répandue, qui voudrait faire croire que le chant choral est facile, sous prétexte que l’accès en est aisé: aucun instrument à acquérir; l’embarras du choix pour trouver un groupe qui vous accueille, quel que soit votre niveau de départ. Continuer la lecture de « Un seul art »

Diriger ?

Juliette BINOCHE, interrogée par Jérôme Clément [À voix nue I, le 4 janvier 2010 – la première d’une série de 5 émissions captivantes, comme tout ce que présente Binoche].

A un moment, il est question de la direction d’acteur.
Diriger, être dirigé … ?

Diriger : drôle de mot, dit-elle, quel que soit le champ artistique. Pour elle, il s’agit plutôt d’un partage de vision, de sensibilité et d’écoute. Je retiens la proposition qu’elle fait, absolument convaincante: On ne peut diriger personne ; on peut inventer une relation qui permette des perceptions communes.