Un vrai livre affecte à quelque degré ce que nous pensons et, donc, ce que nous sommes. Il change, dans une certaine mesure, le monde qui consiste, en partie, dans l’idée qu’on s’en fait, soit qu’il l’orne et l’accroisse, soit qu’il en consomme la ruine. Mais ce désastre, cette perte, si on les surmonte, peuvent être tournés à profit, se muer en richesse et en joie. Nous étions inégaux à ce qu’il y a. Nous vivions de peu. Nous ne savions pas. Nous n’étions point autant qu’il est en nous, qu’il est permis de devenir. Lorsqu’on a contracté l’habitude de chercher son bien non pas seulement auprès des choses tangibles et des êtres de chair, mais parmi les signes et les figures de papier qui les escortent et les prolongent, les exaltent parfois, et parfois aussi, les effacent, on s’expose à vivre doublement et doublement, par suite, à pâtir.
Pierre BERGOUNIOUX, Un peu de bleu dans le paysage, pp. 59-60