Un seul art

Difficile, pour un homme ordinaire, de pratiquer deux arts à la fois. Ils sont rares ceux qui ont pu développer deux pratiques artistiques, et ce n’est pas par hasard qu’on se souvient du violon de monsieur Ingres … Plus près de nous, une artiste qui me touche et dont j’admire le talent, Juliette Binoche, est à la fois comédienne, danseuse et peintre. Mais, à l’écouter et à la suivre, on comprend qu’en toutes choses elle a placé un travail considérable, avec une énergie et une détermination dont peu sont capables. En tout cas, pour un praticien amateur qui n’a pas la possibilité de se consacrer entièrement à son travail artistique parce qu’il exerce par ailleurs un métier1, une seule pratique artistique, c’est beaucoup.

C’est beaucoup, parce que l’engagement réel, approfondi, qui aboutit à une véritable maîtrise, requiert énormément d’énergie. Et, en tout premier lieu, une attention constante, une écoute et une ouverture à tout ce qui peut alimenter la pratique de cet art. Je m’oppose à ceux qui veulent faire croire que certaines pratiques sont plus faciles que d’autres et demandent donc beaucoup moins de travail. Il existe, dans le milieu choral français, une imposture assez répandue, qui voudrait faire croire que le chant choral est facile, sous prétexte que l’accès en est aisé: aucun instrument à acquérir; l’embarras du choix pour trouver un groupe qui vous accueille, quel que soit votre niveau de départ. Continuer la lecture de « Un seul art »

L’excellence

La question de l’excellence, dans un projet artistique, se pose dès l’abord. Elle fait peur aux amateurs, et pourtant – j’ai l’occasion d’y revenir par ailleurs, notamment dans Une perfection absolue – elle ne cesse pas d’être d’actualité.

Mais que veut dire une pratique d’excellence ?

Elle se fonde sur une double mesure, une double appréciation.

D’un côté, une appréciation objective – un regard, une écoute, extérieurs. C’est donc une mesure qui se réfère à d’autres pratiques, qui les compare entre elles, sur l’échelle de l’existant, mais dont les critères sont extraordinairement variables. Dans la discipline qui nous occupe – la pratique vocale – c’est à la fois, ou distinctement, la qualité et l’originalité du répertoire, la façon de se présenter en chœur, la vocalité, la liberté du souffle, la sonorité, la cohérence, mais aussi la clarté, l’ouverture, la sensibilité de l’interprétation, la force de conviction, …

D’un autre côté, une mesure subjective: comment je me situe moi-même dans ma pratique, à quel niveau je m’y place. En d’autres termes: quelle place est-ce que je lui accorde ? Cette appréciation est dynamique: c’est aussi une ambition, elle se nomme, se détermine comme une ambition. Mais je ne parlerai pas ici de « progrès », le terme me semble nous renvoyer à une échelle objective. L’ambition individuelle s’inscrit plutôt comme un mouvement, et un mouvement de l’intime.

Je considère que l’excellence se situe d’abord dans ce mouvement. Il est à la portée de tous, mais … , à l’instar du moine-voyageur, Bashô – dans Le chemin étroit vers les contrées du Nord, p. 50:

(…) je me disais qu’en toute chose l’excellence est le fruit d’efforts auxquels l’homme ordinaire ne consent pas.