Le présent

Il y a deux ans maintenant, j’ai découvert – au hasard de cette première matinée passée dans la belle librairie de Pierre Landry [Préférences, à Tulle], Annie Dillard. D’elle, le premier livre que j’ai lu s’intitule précisément Au présent 1. J’ai été immédiatement séduit, émerveillé ensuite plus encore par la découverte du Pèlerinage à Tinker Creek, qui est une exploration sensible et déterminante de la nature, dans son inépuisable révélation. C’est aussi l’incessante question de notre présence à ce monde qui vit, sans nous, d’une étrange vie indéchiffrable.

Annie Dillard note déjà, dans Une enfance américaine, son éveil au monde présent. Voici ce passage. Continuer la lecture de « Le présent »

Le visage

Le visage. Notre visage. D’abord un effort. Un effort inouï, millénaire pour rassembler les yeux, la bouche, le nez sur une même face, pour affronter le monde autrement que par les yeux écartelés des non primates. Que serait le dialogue humain si nos yeux étaient isolés de chaque côté du front, incrustés sur nos tempes comme chez la plupart des espèces animales ? (…) Pourrait-on véritablement penser, méditer, se concentrer sans ce symposium de nos sens, sans cette confrontation frontale ? Un visage n’est-ce pas d’abord cela : un patient rendez-vous d’organes vers le concile plénier de notre face ?

Jacques LACARRIERE, Sourates, La sourate du visage

La révélation du visage est révélation du langage lui-même. Par conséquent, elle n’a aucun contenu réel, ne dit pas la vérité sur tel ou tel aspect de l’homme ou du monde : elle n’est rien qu’ouverture, rien que communicabilité. Marcher dans la lumière du visage, signifie être cette ouverture, la supporter.

Giorgio AGAMBEN

Une illusion

L’écriture naît d’une illusion : illusion que je suis meilleur que moi-même, plus pénétrant, généreux et sensible. Illusion aussi que je suis capable d’écrire. Lorsque cette illusion est maintenue assez longtemps — comme un révélateur qu’on porte à température — elle devient réalité, j’écris et je m’ajuste aux exigences de l’écriture. L’écriture c’est mon théâtre et si je ne sais pas toujours comment la pièce commence, je sais par contre qu’elle finit bien. Chaque fois que je me laisse déranger, c’est comme si on rallumait dans la salle, comme si des spectateurs se levaient et partaient bruyamment avant que la moindre phrase d’un peu de portée et de poids ait été prononcé sur la scène. L’illusion a donc son rôle à jouer dans ma vie : c’est un moteur parmi d’autres, c’est une variété roturière de l’acte de foi dont on ne se sent pas toujours capable. Il y a ainsi des rapports étroits entre l’illusion et l’édification de l’être, ceci permettant souvent cela.

Nicolas Bouvier, Le Vide et le Plein, p.18

Et le même, plus loin [p.120]:

Avez-vous vu un chirurgien mécher une plaie ? des mètres et des mètres de gaze souillée de pus avant d’arriver au sang frais. Il y a de ça dans l’écriture : une litanie qui peu à peu se débarrasse de tout ce qui n’est pas elle, un flot qui graduellement se purifie. accepter l’incohérence et l’hémorragie pour vider son être, le pacifier et entrer dans celui des autres.

Révélation, dévoilement, …

Je suis bouche bée devant l’extrême concomitance de ce qui est écrit et de ce qui jusqu’à présent m’a paru indicible, trop intimement enfoui dans les sensations les plus confuses. C’est à la fois une révélation personnelle et universelle, effraction brutale de ma propre intériorité, et dévoilement de l’humaine condition. Je crois devenir fou d’intelligence sensible, le cœur traversé de mille intuitions nouvelles.

Denis PODALYDES, Voix off, p. 19-20