Douloureuse

La mémoire, où que tu la touches, fait mal.

Georges Séféris, Pages de journal, 27 mars 1950

Au moment où, à nouveau, je me penche sur mon enfance, Séféris pointe juste.

J’avais noté, en tête de cet écrit qui peut-être ne verra jamais le jour, une ligne piochée dans la réserve quasi inépuisable du Marché de Résurgences de Jean Sur:  Et naturellement l’enfance. Non pas comme éponge à regrets. Comme magasin d’armement.

Je note, plus tard:

Je suis en plein complot avec l’ombre.

Francis Ponge

Nos promesses

En ce qui concerne le passé, nous ne pouvons nous fier qu’au souvenir, a dit l’éditeur.

Oui, ai-je dit. C’est un peu embêtant.

Embêtant ? a-t-il dit.

Il semble que nous ayons besoin de l’histoire, ai-je dit. De l’histoire et des récits. C’est pour cela que nous avons inventé la mémoire.

Non, a-t-il poursuivi, c’est pour cela que nous devons croire en la mémoire. Grâce à elle, nous pouvons rester fidèles au passé. Sans la mémoire, nous serions perpétuellement en train de trahir toutes nos promesses et de manquer à nos devoirs, nous renierions tout ce qu’un instant plus tôt nous tenions pour sacré, nous n’aurions aucune raison de prendre notre prochain dans nos bras. Nous ne saurions pas que la fleur s’appelle géranium. La mémoire est le ciment de nos fors intérieurs, sans mémoire nous éclaterions comme des capsules de graines desséchées.

Et qu’est-ce qui pourra donc germer en nous ? ai-je voulu savoir.

Rien, a dit l’éditeur.

Torgny Lindgren, Souvenirs, pp. 14-15