Réfléchir

Est-ce que l’appauvrissement général va enfin nous faire réfléchir plus clairement à notre nature, comme à ce qui nous appartient en propre de beau, de digne, si bien que, si nous devons mourir, nous le ferons avec une conscience plus nette, et que, si nous devons vivre, ce sera avec plus de justice.

Georges Séféris, 25 juin 1940

Tristesse des fleuves

J’annote et j’extrais les pages du Journal de Georges Séféris. Passionnante lecture, étonnante aussi parce qu’on peut y lire, dans des pages écrites il y a 60 ans déjà, des considérations d’une extraordinaire actualité, sur l’état de la Grèce.

Et puis, ceci, qui m’interroge [11 octobre 1943]:

Les fleuves ne sont guère réconfortants, ils exigent qu’on soit heureux. Cela vaut pour la Seine, la Tamise, comme pour le Nil. Les fleuves, en coulant, nous laissent toujours à la traîne, avec nos amertumes, nos épreuves, nos désespoirs. La mer libère. Un homme sur la berge d’un fleuve: l’une des images les plus tristes qui soient.

Douloureuse

La mémoire, où que tu la touches, fait mal.

Georges Séféris, Pages de journal, 27 mars 1950

Au moment où, à nouveau, je me penche sur mon enfance, Séféris pointe juste.

J’avais noté, en tête de cet écrit qui peut-être ne verra jamais le jour, une ligne piochée dans la réserve quasi inépuisable du Marché de Résurgences de Jean Sur:  Et naturellement l’enfance. Non pas comme éponge à regrets. Comme magasin d’armement.

Je note, plus tard:

Je suis en plein complot avec l’ombre.

Francis Ponge

Le Journal de Georges Séféris

Je me replonge dans la deuxième partie (publiée la première) du Journal (1945-1951). Je suis frappé, tout au long de ces pages, par l’amertume du poète dans ce monde de l’après-guerre: l’écrivain n’y a pas sa place, elle ne lui est pas reconnue. Séféris écrit (1er mars 1950): La terrible guerre que fait le monde entier pour que le poète n’existe pas. Tout est dit, sa terrible frustration face à l’incompréhension, l’inculture, le conformisme de ce pays – la Grèce – bousculé par la guerre et les luttes fratricides.

Le Journal fait aussi une large part à son séjour en Turquie – lui qui est un homme de la Méditerranée, il ne supporte pas Ankara, physiquement. Il ira jusqu’à Smyrne, à Scala, à Ephèse, pour revoir les lieux de son enfance, dans un voyage mémoriel halluciné. Il y a là quelques pages étranges, peuplées de souvenirs et de fantômes, qui font du Journal comme le récit d’un rêve.

Séféris lance aussi, au long des pages, comme des sortes de haïkus.

Je note le miracle de ces quelques mots (30 octobre 1950):

Pourtant se plient
sous le pas de Dieu
les cyclamens.