L’autre fraternité

Où trouver la fraternité ? Ni dans les partis politiques, ni dans les grandes réunions où l’avenir est voilé par la fumée des cigarettes. Et si la fraternité était ailleurs ? Si on la cherchait dans la réalité qui existe en nous, sans nom, divine, couverte d’une épaisse couche de lieux communs comme des rosiers enveloppés dans la paille pour l’hiver ? Ce qu’il nous faut, ce sont des expéditions, des découvertes, des accords qui – grâce à l’œuvre d’art – ne durent pas plus d’une demi-seconde, comme l’éclair de magnésium dans l’atelier d’un photographe de province. Une fraternité d’une demi-seconde ? Oui, tel est le programme minimum que je vous propose, Mesdames, Messieurs. Il fait naître l’espoir qu’une fraternité limitée dans le temps n’entraînera pas à sa suite une ère de terreur qui durera des années entières. (…).

Adam Zagajewski, dans un petit ouvrage admirable (Solidarité, solitude, 1986).

Nos ruches vidées

Aujourd’hui, nous sommes en réalité pauvres par surabondance d’images et d’impressions. Nous avons éparpillé notre amour et l’avons ainsi mis à l’écart. Nous avons fait exactement le contraire de ce que font les abeilles. Nous avons dispersé le pollen sur des millions d’objets et, malgré la petite voix qui nous dit le contraire, nous espérons sans cesse qu’un jour nous aurons assez de temps pour remplir nos ruches vidées.

Boris PAHOR, Pèlerin parmi les ombres, p. 17

Les autres

Jonction avec les autres d’abord. Non pas l’autre, les autres. Mais non pas les autres tels que notre bonté, notre grandeur d’âme ou notre largeur d’esprit nous incite à les reconnaître. Et non pas les autres que nous connaissons personnellement, non pas les membres du club familial, amical, ethnique, idéologique. Il s’agit des autres qui sont en nous, qui pèsent sur nous, auxquels nous sommes reliés autant par l’imaginaire que par la réalité, les autres vus par temps de srâb1, les autres en tant que nous ne pouvons pas nous penser sans eux. Non pas les autres comme fruit de notre tolérance, non pas les autres comme une dernière manière de nous prouver notre individualité, d’en affirmer le triomphe. Non pas les autres comme un cercle d’âmes haletantes, dont nous imaginerions le salut suspendu à l’éclat de notre sourire, à la rigueur de notre diététique spirituelle.

Jean SUR, dans ses entretiens avec Jacques Berque, Les Arabes, l’Islam et nous, p.47/48