Accompagner le son

Souvent, pour obtenir la souplesse du déroulé, le soutien d’une phrase, en évitant toute crispation, j’ai utilisé – pour moi, ou suggéré – pour les chanteurs, un geste.

C’est un geste d’accompagnement, de sollicitude : on tend le bras, la main, on tourne le haut du corps, comme pour accompagner une personne, la guider avec courtoisie, avec la précaution dont on peut entourer une personne âgée ou affaiblie. Mais c’est la phrase musicale qu’on incarne ainsi et qu’on guide, à côté de soi, à qui l’on ouvre le passage, …

L’essentiel, c’est que ce geste figure explicitement le déroulé de la phrase musicale en dehors de soi-même, l’objective totalement et, en même temps, nous y attache dans un geste de précaution attentive. La posture est, immédiatement, celle du lâcher-prise.

Je vois aussi dans ce geste la figure du danseur, dans un pas de deux dont la/le partenaire serait la phrase musicale. Les chanteurs s’y trouvent dans un rapport souple de distance et d’accompagnement qui s’avère extrêmement efficace pour la qualité de l’émission vocale et pour la musicalité de l’ensemble.

P D C – Posture, direction, contact

PDC est un petit outil que j’utilise depuis plusieurs années: Posture, Direction, Contact.

Pour le travail vocal de l’ensemble, voici ce que je rappelle régulièrement:

  • la posture: la position du corps, la stabilité, la bascule du bassin et la sensation du centre de gravité, l’attitude d’ouverture (épaules, bras, ventre, bassin, pieds), à l’identique de ce qu’on apprend au théâtre.
  • la direction : il s’agit d’adresser (symboliquement et physiquement) la voix, d’offrir la musique à l’auditeur, … Elle doit être orientée, dirigée vers …
  • le contact : c’est une autre façon de désigner ce que Daïnouri Choque nomme l’intensité. Il faut que la voix soit adressée avec assez de force, que le corps soit suffisamment engagé pour que l’on puisse ressentir ce contact (avec le son, avec l’espace). On peut utiliser l’image d’un contact [symboliquement] engagé avec un écran, avec un mur (celui de la pièce, de la salle, de l’église où l’on chante) sur lequel le son doit se ficher, s’accoler, …. Katelijne Van Laethem exprimait cela encore autrement. En néerlandais, elle utilisait le terme ‘uitdagen’, qu’on peut traduire par ‘défier, provoquer (en duel)’. Il s’agissait ainsi de défier l’espace, de chercher l’engagement – comme un duelliste – avec le lieu. L’arme, puissante, vive, lumineuse, c’est sa propre voix, son propre son.

Pour appliquer la formule de la PDC, il faut le double mouvement – contraire – de (re)centrage sur soi et d’ouverture. On revient toujours à ces fondamentaux.

La forme

Pour compléter la réflexion entamée sur la forme – la surface et la profondeur:

Mies van der Rohe, architecte, octogénaire. A construit la maison Seagram ; je l’ai vue à New York en 1958, juste après son achèvement. « Ce n’est pas la forme qui est le but de notre labeur, mais bien son résultat. » Soit, mais le labeur, même celui de l’artiste, n’est jamais comme la main d’un intermédiaire. L’harmonie intérieure est, par sa médiation, extériorisée. Angelus Silesius : Tu n’es pas dans le lieu, car le lieu est en toi. Chasse-le, et aussitôt l’éternité survient. (…)

Ernst JÜNGER [Soixante-dix s’efface I – Journal 1965-1970, à Willflingen, le 16 juin 1966]