Une exigence

Elle est belle, la vision de Cristina CAMPO, tout entière inspirée par Simone WEIL (La Pesanteur et la Grâce, les Cahiers). Dans son introduction aux lettres de C.Campo à R.Fasani (Conférence, n°32, p.151), Christophe Carraud rappelle comment l’écrivain ne pouvait trouver au fondement de la pratique de l’art qu’une exigence de beauté, d’attention et de responsabilité.

En écho, je note encore:

L’art transforme la pensée en rendant chacun conscient de son pouvoir créateur et permet de renouer avec l’exigence subjective universelle d’être et de s’affirmer par et pour soi-même, d’inscrire son être propre dans le monde naturel et humain, ce que ne permet ni la science ni la technique, ni le travail, rivés à l’universel abstrait ; l’art nous procure la joie de produire et de ressentir ce qui est le plus intime: l’amour de la vie et de sa mouvance inventive, le sens de l’universelle originalité du désir vécu de la liberté concrète. Ainsi, l’art défonctionnalise la vie et nous met en demeure de la changer pour en faire une source inépuisable de création et d’échanges sensuels, affectifs et intellectuels non utilitaires avec les autres et la nature.

Ainsi, les corps symboliques que crée l’artiste nous rappellent à la richesse de notre expérience la plus profonde: celle de notre sensibilité à la recherche infinie des significations les plus contradictoires de notre expérience intime, car c’est par cette recherche que ces contradictions adviennent au sens, c’est à dire à l’unité interrogative de la conscience de soi. En cela le plaisir esthétique est de reconnaissance ; encore faut-il pour l’éprouver ne pas avoir perdu le goût de la liberté, ce que la réalité triviale de la vie sociale s’emploie à faire tous les jours.

[Sylvain REBOUL, le 30/05/92]

L’expérience esthétique

Je n’hésite pas à citer intégralement cette page de Claude LOUIS-COMBET, tirée d’un article majeur, intitulé Comme pour tenter de dire l’être-en-suspens, publié par la revue Conférence [n°30-31, 2010]. J’y ai lu l’expérience qui fonde une vie entière, le sentiment de la beauté du monde et le goût pour toutes les manifestations foudroyantes d’émotion de l’art et de la nature. Je m’y retrouve complètement, dans l’illimitation de la surprise, de la reconnaissance et de la soumission.

De la vastitude du sentiment océanique de la beauté du monde – aurore et crépuscule, paysages des lointains, déchaînements météorologiques – se dégagea, comme une création du coeur et de l’esprit, le goût majeur, appelé à devenir essentielle passion, pour les formes de l’art. Des couleurs, des reliefs, des rythmes, des figurations, des matières, des assonances et des dissonances, composés à l’infini, dans l’inépuisable variété des genres et des styles, emplissaient le champ toujours ouvert et toujours neuf de l’admiration et quelquefois, avec une fulgurance proche de l’émotion d’amour, dispensaient des instants de pur ravissement. Alors, dans la présence aspirante et fascinante d’une peinture ou dans le vertige d’un moment musical, la conscience du temps retient son souffle, elle se laisse envahir et déborder, la présence à soi est suspendue, possédée, dans l’intime et jusqu’au plus infime, par cette Présence, d’un autre ordre, de beauté et de forme, dont les limites mêmes, d’espace ou de temps, s’abolissent, un instant, dans l’illimitation de la surprise, de la reconnaissance et de la soumission. Pour ceux que l’extase, au sens mystique du terme, n’aura jamais visités, l’expérience esthétique révèlera, mais au plus haut de sa rareté, ce qui s’en approche le plus. Elle pourra, dans toute la longueur du temps retrouvé, accorder, ne serait-ce que par le souvenir d’émotions anciennes, restées uniques dans l’existence, sa manière de lumière intérieure, à peu près suffisante pour que, même privée de sens, la vie continue de se garder en son attente.

Portraits

Dans le cadre des Fenêtres qui parlent, Delphine CHENU a réalisé ces portraits sensibles qui ne dévoilent quasi rien mais qui disent tout. Elle a mené ce travail avec les habitants de son quartier. Les prises de vues ont été faites dans le café des Arts, au milieu du passage des habitués. Continuer la lecture de « Portraits »