Le petit-fils du prince Genji

Etrange et fascinant récit, que celui de L.Krasznahorkai – qui met en scène la quête intemporelle d’un jardin mystérieux, le jardin caché, le centième du célèbre livre Cent beaux jardins. Nous sommes dans le rêve, dans l’histoire, dans la méditation, dans la folie, dans une faille du temps, dans la contemplation zen, dans l’art japonais des jardins, dans le mystère incroyable de la naissance végétale, dans le regard éperdu de cet homme qui a consacré les siècles que dure sa vie à la recherche de ce mystérieux jardin. Et qui, au bout du compte, par inadvertance, par fatalité, par destinée de l’inaboutissement, passera juste à côté sans le voir, au coeur même du temple déserté qu’il a réussi à pénétrer.

Le récit se divise en 50 chapitres, dont manque le premier. Faille du livre ?
Un auteur hongrois pour un livre japonais. Un vrai bonheur de lecture.

Laszlo KRASZNAHORKAI, Au nord par une montagne, au sud par un lac, à l’ouest par des chemins, à l’est par un cours d’eau.
Traduit du hongrois. Publié à Paris chez Cambourakis en 2010.

Gilbert HOUËL

Dans la revue Conférence (n°29), je découvre avec délectation la très belle poésie inédite de Gilbert HOUËL (1919-2007). Le petit mot d’introduction nous apprend que l’auteur était premier violon à l’Orchestre National. Il a très peu publié, semble-t-il. Je n’ai trouvé qu’un recueil, épuisé aujourd’hui. Cette poésie fait écho pour moi à d’autres textes, ceux de Follain, par exemple. On y trouve la même évocation de l’enfance et d’un passé désuet. Textes profonds, magnifiques.

Voix d’enfance des déversoirs; elle perpétue en toi la campagne auréolée. Tu t’avances dans la profondeur qu’accroît la transparence du jour; le temps revécu t’accompagne et te porte aux confins naturels. Où se perd la distance de l’homme, ils proposent le règne et la paix qui te lient? Tu es l’égal de ce chant grave et de l’été souverain.

* * *

Rendez-moi la lampe du soir d’autrefois sur la campagne éteinte.

Rendez-moi l’octobre chancelant à voix de brume et d’enfances mortes.

Rendez-moi le long sommeil et le rêve perdus dans les chambres du temps qui s’éloigne.

* * *

Là-bas
Où la grande solitude de la terre
Tourne en rond indéfiniment
Comme une bête sauvage
Dans la cage du ciel

Il y a
Cernées d’eau et de nuit
ma vie
Et ma peine bien aimée
Main dans la main
Sous la lampe étroite
Et la rouge chaleur du coeur endormi
Qui se souvient.

La marche des Marines

Où il est question du Paradis – et de ce qu’on y chante !

Dans le film de GODARD, Notre musique – 3e partie: Royaume III, le Paradis apparaît comme un jardin, une nature très verte, mais assez froide, peu accueillante. Il est occupé par des Marines américains en uniforme de parade (col marin, calot) qui gardent les limites du royaume, derrière une grille/un grillage plutôt, au bord de l’eau — qui doit être celle d’un lac dans lequel trempent les branches des arbres les plus proches. On entend la marche des Marines :  Les Marines américains/des États-Unis gardent les rues du Paradis. Un message qui se veut rassurant. Bigre !

En écho, Giovanni BORGOGNONE cite Robert KAGAN, dans un article très éclairant, publié par la revue Conférence (n°29, 2010) sous le titre « L’anti-européanisme des Américains »: Pour le vieux continent, la meilleure chose serait donc d’accepter le « prix du Paradis », c’est-à-dire la présence d’une Amérique forte et même hégémonique.