Jusqu’à présent, c’est comme si je n’avais pas eu le sens du mensonge. Mais je vais me mettre à mentir. Je crois que c’est très profitable à l’âme. Ils mentent tous autour de moi, très naturellement. (Enfant, j’ai menti. Nécessité momentanée, ça ne compte pas.)
Henri Michaux, Ecuador, p.49
J’ai longtemps été un lecteur assidu de Jean Giono. Je pense avoir collectionné tout ce qu’il a signé, à peu de choses près. J’aime chez lui cette habileté à nous mener à travers des récits elliptiques où les histoires familiales, les liens de parenté, les rancoeurs ancestrales comme les amours interdites, les itinérances à travers le haut pays provençal tissent de mystérieux entrelacs dans lesquels, délicieusement, il nous perd. J’aime tout particulièrement les soixante-dix pages du Bestiaire , où il est le plus merveilleux des menteurs. C’est là le plus grand recueil de mensonges et d’impostures – les Marginalia sont remplis de citations apocryphes, de pure imagination, mais géniales d’authenticité, à la marge, sur le fil, presque authentiques, avec juste ce qu’il faut pour instiller le doute, … et donner au lecteur un frisson délicieux devant tant de duplicité et de virtuosité à la fois, toutes deux nourries d’une profonde érudition doublée d’une insatiable imagination. Et j’aime à sentir, sous le mensonge, le plaisir évident dont Giono lui-même jouit à nous tromper … Sa propre jouissance étant sans aucun doute le moteur le plus puissant, comme on le sait.
Et Vassilis Alexakis lui aussi, dans un récent entretien, rappelle qu’il a toujours voulu, dès l’enfance, bien avant de se déterminer à être romancier, devenir celui qu’il nomme le grand menteur.