Le temps perdu ?

Tu ne le sais pas encore. La musique n’est jamais du temps perdu. Elle est  la perte.

Vincent DIEUTRE, dans ce film étrange et fascinant – touchant aussi, pathétique parfois – qu’il a appelé Mon voyage d’hiver (à la minute 39’20 »). La musique y est magnifique, Schubert, Beethoven, … qui souligne cette errance dans l’hiver d’une Allemagne chargée de souvenirs, ceux du narrateur et ceux de l’Histoire, pesante.

La grammaire

– A l’étude, il apprendra à connaître des morceaux essentiels du monde, les volcans, les plaines, les mers, les fleuves. Et puis la grammaire, surtout la grammaire.

– La grammaire ? murmura Mlle Dargnies.

– La grammaire, reprit Thomas, c’est aussi profond que le ciel, mais mille fois plus compliqué.

Songez-y bien : nous savons que les astres suivent toujours le même chemin dans le temps et dans l’espace. On ne peut pas avoir cette assurance pour nos plus humbles phrases.

André DHÔTEL, La maison du bout du monde, p.64

Esquisse d’une esquisse du monde

Un homme devait réaliser l’œuvre de sa vie, une œuvre qui se dressât là comme une maison. Il commença par élever un échafaudage. Pour réaliser l’échafaudage, il lui fallut de nouveaux préparatifs et d’autres échafaudages. Nombre de ces préparatifs et de ces autres échafaudages exigèrent à leur tour de longues rétrogressions, des constructions de toutes sortes, des efforts astreignants. Des efforts qui dévoraient des journées, tandis que le temps passait. Le temps passait ; déjà l’on voyait la mort de plus en plus proche, et l’œuvre encore lointaine. Oui, maintenant, l’homme était plus loin de l’échafaudage de l’œuvre qu’il ne l’avait été d’abord de l’œuvre même… Alors qu’il avait passé sa vie en efforts incessants. La mort approchait, le temps pressait. C’est alors que l’homme trouva, sans s’en douter, ou s’en doutant à peine, un mot ; peut-être même le mot s’énonça-t-il tout seul ; et à partir des chemins que l’homme avait suivis, d’elle-même, l’œuvre se fit. Était-ce une maison ? Certains, plus tard, l’appelèrent une maison. Il n’y eut jamais d’autres maisons.

Ludwig HOHL, Chemin de nuit, p.79-80