Chanter c’est danser

Je note, dans le livre de Daniel LEVITIN [De la note au cerveau. L’influence de la musique sur le comportement], que comme dans beaucoup de langues, le verbe sesotho pour chanter (ho bina) signifie également danser : on ne fait pas la distinction puisqu’on considère que le chant implique des mouvements corporels.

Il s’agirait maintenant de chercher d’autres exemples et, si possible, d’en tirer quelque leçon pleine de sagesse… J’ai l’intuition que beaucoup de langues pratiquent cette combinaison sémantique, qui semble bien naturelle. Il n’y a que pour nous que la réconciliation entre chanter et danser demande un effort mental, avant de la transformer en pratique.

Découvrir le monde: l’éveil

Les enfants de dix ans se réveillent et s’aperçoivent qu’ils sont ici-bas, ils découvrent qu’ils y sont depuis un certain temps ; est-ce triste ? Ils se réveillent comme des somnambules en marche ; ils se réveillent comme des gens qu’on a ranimés après une crise cardiaque ou qu’on a sauvés de la noyade, in media res, entourés de personnes et d’objets familiers, capables de faire mille choses. Ils connaissent leur quartier, ils savent lire et écrire, ils maîtrisent quelques bons vieux mystères et pourtant, ils ont l’impression qu’ils viennent juste de débarquer, de converger avec leur propre corps, de sortir d’une transe, de s’insérer dans une vie étrangement familière qui est en branle depuis longtemps.Comme tous les enfants, je me réveillai par bribes, par morceaux, au fil des années. Je me découvris moi-même et je découvris le monde, puis j’oubliai pour redécouvrir à nouveau. Je me réveillai de temps à autre, jusqu’au jour de septembre où mon père descendit le fleuve et où les périodes d’éveil se firent plus longues, où je fus plus souvent éveillée qu’endormie. Je remarquai la progression de l’éveil et prévis avec une logique terrifiante qu’un jour relativement proche, je serais continuellement éveillée, que je ne me rendormirais jamais et ne serais jamais plus libérée de moi-même.

Annie DILLARD, Une enfance américaine, pp. 24-25