La découverte progressive de l’inattendu

A la fin du travail que j’ai mené avec l’ensemble vocal Koriolis (Gand), au printemps 2013, une des choristes me disait combien elle avait été gênée par le fait que je ne leur avais pas donné, dès le début de notre travail  – au contraire de leur chef permanent – d’indications précises sur le résultat final à obtenir.

C’est vrai, je ne commence jamais le travail avec des directives précises. Je cherche avec les chanteurs et nous construisons donc ensemble, progressivement, le résultat musical. Les indications que je leur donne sont comme des guides, des balises, pour inscrire une trace, au plus juste. Elles ne forment jamais la représentation d’un résultat attendu (lequel d’ailleurs ? le mien a priori ?), ni l’indication formatée d’une idée préconçue que j’aurais de ce résultat. Je suis bien plutôt attentif à l’exigence d’expressivité, à la liberté du souffle, au mouvement… Le chemin plutôt que le but, les jalons plutôt que la destination qui, elle, reste à découvrir, derrière la crête, au-delà de la porte qui s’ouvre sur un pays nouveau, inconnu, inaperçu encore.

Je suis intimement convaincu que cette élaboration partagée est infiniment plus riche, née de la pratique, donc d’une découverte progressive de l’inattendu. Continuer la lecture de « La découverte progressive de l’inattendu »

Un appel

Adam PHILLIPS, un des plus brillants psychanalystes de notre temps, a publié un passionnant petit essai intitulé Trois capacités négatives 1. Ces « capacités négatives » – être un embarras, être perdu, être impuissant – fondent notre vie, quand elles sont reconnues et assumées.

Il parle du cri et cite Freud: « La voie de décharge [c’est-à-dire le cri, l’expression émotionnelle] acquiert ainsi une fonction secondaire d’une extrême importance: celle de la compréhension mutuelle. L’impuissance originelle de l’être humain devient ainsi la source première de tous les motifs moraux. »

Il poursuit:

La première fonction du cri est de tenter d’évacuer, de décharger l’excitation, ce qui ne peut marcher. Mais la fonction seconde est un appel – un moyen de communication ou de contact du « sujet impuissant » avec la personne qui s’occupe de lui. Cela installe une compréhension avec autrui probablement parce que cela engage à chercher, à imaginer ce dont le sujet impuissant pourrait avoir besoin. (…)