L’âme

Je me représente l’âme humaine sous deux formes: ma première image de l’âme est un petit pain oblong que j’ai mangé un jour à Tübingen. En Souabe, cette sorte de petit pain est appelé Seele, « âme », et beaucoup de gens ont une âme de cette forme. Mais cela ne veut pas dire que l’âme soit placée dans leur corps comme l’un de ces petits pains. L’âme est plutôt, dans le corps, un trou qu’il faut toujours remplir avec le petit pain ayant la même forme ou avec un embryon, ou bien avec la vapeur de l’amour. Sans quoi les porteurs d’âme ont  l’impression qu’il leur manque quelque chose.

Ma deuxième image est celle d’un poisson. Le mot See-le indique que l’âme a un rapport avec un lac, See, et en tout cas avec l’eau. Cela évoque l’âme d’un chaman. Chez les Toungouzes par exemple, on dit que l’âme d’un candidat chaman descend le cours d’eau de la tribu jusqu’à la région où habitent les esprits des anciens chamans. Là, à la racine de l’arbre des chamans de la tribu, se trouve un animal, la mère des chamans, elle dévore l’âme qui arrive puis la remet au monde sous forme animale. L’animal peut être un quadrupède, il peut être un oiseau ou un poisson; quoi qu’il en soit, cet animal joue le rôle de double et d’esprit protecteur du chaman.

Yoko TAWADA, Narrateurs sans âmes, p. 17

Le rêve

(la plupart de nos rêves ne possèdent qu’une plénitude close. Désagréables ou heureux, leurs énigmes ont une sorte de suffisance dans laquelle nous pouvons sans fin nous tourner et retourner sans que rien ne change dans notre vie. Mais parfois, en des nuits très rares, il arrive qu’un songe constitue l’une de nos heures essentielles, qu’il éclaire, sans la moindre démonstration, le chiffre de nos jours, qu’il nous transporte là où notre désir d’infini et la conscience de notre finitude ne sont qu’un, là où les préoccupations de la vie usuelle, téléguidée et partant de faux maître, nous interdisent bien souvent de nous tenir : en notre âme même.)

Pascal RIOU, En notre âme même, Conférence n°22

Le voyage de l’âme

Nous ne pouvons courir de lieu en lieu sans perdre quelque chose, passer vite d’un endroit à l’autre toute notre marchandise et changer de travail en une minute comme il nous plaît. Rien n’est plus long à voyager que l’âme. Et c’est lentement, s’il se déplace, qu’elle rejoint le corps. (…)

Jean COCTEAU, La difficulté d’être.

Cette citation intervient dans une très belle émission d’entretien avec Claude Virilio, diffusée sur la Première (RTBF – Par ouï-dire, 20 août 2009).