Donner une voix

Il y a quelques jours à peine, je lisais la recension des entretiens que Laure Adler a eus avec Erri De Luca (c'est dans le dernier volume de L'Entretien 1). Il reprenait cette idée qu'il avait rendue dans La Parole contraire (je l'avais notée en 2015):

Un proverbe dit: "Donne de la voix pour les muets." Tel peut être le rôle de l'écrivain, donner de la voix pour les muets, et pas seulement inventer des histoires - comme le veut son métier - mais en tant que citoyen, il doit se donner une autre tâche: donner de la voix pour les muets.

Hier, j'ouvre le très beau recueil Amérique - Des écrivains en liberté2 qui débute par une rencontre avec Jim Harrison. La première citation en exergue de ce dialogue est la suivante:

Il faut donner une voix aux gens qui n'en ont pas. Je crois que telle est la responsabilité de l'écrivain.

Sa propre ressemblance

On naît dans une dissemblance, et l’écrivain, dirait-on, de la façon la plus nécessaire.

Tout son effort sera de frayer le chemin d’une autre origine, de laisser advenir les choses comme virginalement : de les laisser apparaître pour qu’un « moi » simultanément se découvre dans cette apparition et retrouve en elle sa propre ressemblance. Ce processus de désencombrement, de déconditionnement, est une traversée inajournable, en vue de savoir « qui je suis avant de mourir » (Chappaz).

Alain BERNAUD, Passages de Maurice Chappaz.
Dans la recension de « Maurice Chappaz » de Christophe Carraud, Seghers, 2005.

Parler pour les muets

Un écrivain possède une petite voix publique. Il peut s’en servir pour faire quelque chose de plus que la promotion de ses œuvres. Son domaine est la parole, il a donc le devoir de protéger le droit de tous à exprimer leur propre voix. Parmi eux, je place au premier rang les muets, les sans voix, les détenus, les diffamés, par des organes d’information, les analphabètes et les nouveaux résidents qui connaissent peu ou mal la langue. Avant d’être amené à m’intéresser à mon cas, je peux dire que je me suis occupé du droit à la parole de ces autres-là.

Ptàkh pìkha le illèm: « Ouvre ta bouche pour le muet » (Proverbes/Mishlé 31,8). Telle est la raison sociale d’un écrivain, en dehors de celle de communiquer: être le porte-parole de celui qui est sans écoute.

Erri de LUCA, La parole contraire.

Lectures essentielles

Je suis un grand admirateur de Nicolas Bouvier, en tout premier lieu pour L’usage du monde, dont je parle par ailleurs. Dans les entretiens réalisés en 1992, sur sept thèmes centraux dans son œuvre, il parle des écrivains qu’il admire. Il s’en explique d’une façon très éclairante.

Les écrivains qu’il admire sont

des gens qui vous donnent du courage. Ils ne vous donnent pas un style (…) Ils vous donnent le courage de vous mettre au travail pour essayer de redonner plus loin un peu du plaisir qu’ils vous ont donné. Tous les livres importants vous aident à régler votre mort. Et beaucoup de livres vous aident à vivre quand vous n’en avez plus le courage. Il y a des lectures qui vous permettent de relativiser des problèmes que vous avez énormément gonflés par insuffisance mentale. Et puis il y a des lectures qui vous bouleversent complètement et qui vous donnent le sentiment que votre vie entière est une sorte d’imposture.

Nicolas BOUVIER, Le Hibou et la Baleine, un film de Patricia Plattner, 1993