Trois sortes d’acteurs

Il y a plusieurs sortes d’acteurs.
D’abord ceux qui ne savent que mimer les sentiments de leur personnage.

Ensuite il y a ceux qui ont en eux une violence telle qu’ils peuvent la livrer sur scène. Ceux-là ont généralement l’air de lions en cage. Ils expriment une rage effrayante qui vous entraîne mais à laquelle il est difficile d’adhérer comme spectateur. … Ou comme partenaire.

Enfin, il y a ceux – plus rares et plus fragiles, qui trouvent en eux-mêmes les blessures et les failles qui vont les mettre à jour plus sûrement. Ceux-là vous bouleversent parce qu’ils vous offrent leur propre bouleversement. Ils vous touchent. De ceux-là, vous pouvez tomber amoureux. Brusquement, par surprise, quand votre corps s’aperçoit qu’il est littéralement transporté. Ceux-là, oui, quand vous les voyez, quand vous les entendez sur une scène, vous êtes transporté.

L’étrangère, film de Florence Colombani, à 29’15 »  (ce film est disponible sur Universciné)

L’étonnante éternité

Philippe Jaccottet, dans une lettre adressée à André Dhôtel, le 31 octobre 1984, lui écrit ceci:

J’ai lu votre nouveau livre (Histoire d’un fonctionnaire) avec le même sentiment de bonheur et de connivence que tous les autres: je ne me lasse jamais de vos fables, vous le savez. Il y a page 243 un paragraphe sur la pluie et l’ « étonnante éternité » que je vais recopier pour l’avoir à portée de la main comme d’autres garderaient un rameau béni. (…)

Ce paragraphe étonnant, le voici: c’est la magie de l’écriture de Dhôtel, qui nous ouvre au monde…

Qu’y avait-il qui ne disparaissait pas, qui ne pouvait disparaître ? La présence de la pluie, bien sûr.  Quelle sorte de présence ? Une vague idée de l’éternité à cause de l’inlassable retombée et du bruit multiplié des feuilles sous l’averse, et dans les flaques d’eau ces sons de guitare extrêmement fragiles. Oui ce qui comptait, si éternité il y avait, c’était justement une étonnante fragilité. Ce qui comptait, c’était l’étonnement lui-même, non pas celui de Florent tout abruti, mais bien de la terre, de l’eau des feuilles, de l’aveugle brume partout répandue. Alors si le monde était réduit à l’étonnement, pourquoi n’y aurait-il pas l’étonnante éternité ?