Une écriture asociale

Je rêve d’une écriture analytique, là encore sans trop savoir ce que j’entends au juste par là. Peut-être d’une écriture qui serait asociale – comme le rêve, comme l’analyse, comme la lecture, comme l’amour qui est aussi « vie secrète » – et trouverait dans les ressources du langage le pouvoir d’atteindre tout un chacun en ce qu’il a de plus intime et de plus étranger (heimlich, unheimlich) . A moins qu’il ne nous faille souscrire à cette formule, superbe et déroutante, de Pascal Quignard: « L’invention de l’écriture est la mise au silence du langage. »

J.B. PONTALIS, Traversée des ombres, p. 80

 

Nous écrivons la nature

Cees NOOTEBOOM relate [dans Hôtel Nomade, p.105-121] sa rencontre avec Tim Robinson, mathématicien, cartographe, chroniqueur et peintre, qui a passé douze ans de sa vie dans les îles d’Aran 1, à répertorier les usages, les coutumes, les musiques, les saisons, les paysages, les sentiers, les rochers remarquables, les ruines, les églises magiques, le bruit de cailloux roulés de la langue gaélique, … 2 A la toute fin de ce petit récit, Nootebom cite Robinson. La citation est en tous points remarquable. Elle ouvre une perspective inaperçue sur notre rapport à la nature. Voyez plutôt.

La nature ne sait rien de nous et ne se préoccupe pas de nous. Ce luxe de métaphores que nous avons inventées pour les appliquer à la nature n’est ni plus ni moins qu’une tentative de communication avec la réalité non humaine, tentative vouée à l’échec. Le seul sens qui soit, c’est nous, tout ce que nous lisons dans la nature, c’est nous qui l’avons écrit, nous composons un écrit si grandiose et si polyphonique que, lorsque nous reconnaissons nos propres phrases, nous ne les reconnaissons pas comme écrites par nous.

Tant qu’il y aura du papier

Parfois le monde m’irrite et m’ennuie; certes il me semble impossible de vivre un instant de plus, je voudrais m’en aller et me perdre je ne sais où; mais si, alors, je mets la main sur du joli papier ordinaire, très blanc, sur un bon pinceau, sur de l’épais papier blanc de fantaisie, ou sur du papier de Michinoku, je me sens disposée à rester encore un peu sur cette terre, telle que je suis …

Sei SHÔNAGON, Notes de chevet, citée par L.Schlechter, Le murmure du monde, p. 99