La huppe

Je lis « 533. Le Livre des jours » de Cees Nooteboom.

À quel moment un fait devient-il un événement ? Une catastrophe ferroviaire, une visite totalement inattendue, la foudre qui frappe. (…) Rapporté le lendemain dans le journal local, c’est un événement. Mais comment cela s’appelle-t-il lorsqu’un fait se produit qui, pour le monde, n’aura jamais valeur d’événement, alors que c’en est un pour vous ? Heure matinale, les esteras, ces stores de paille tressée, ne sont pas encore baissés. Je suis assis sur la terrasse et voilà qu’à côté de moi une huppe se pose, avec un sens inimitable de la mise en scène. Elle ne m’a pas vu, sinon elle se serait déjà sauvée. L’Upupa epops, la huppe fasciée, est très craintive. Mais elle reste là, posée à côté de moi sur la terre sèche et brune, tout près de l’hibiscus qu’on vient de planter et qui ne veut pas pousser. (…)

Et soudain me revient en mémoire un événement tout pareil, la rencontre d’une huppe fasciée, au petit matin, alors que j’étais seul à St Théodard, dans cette maison au sommet de la colline, l’ancien presbytère accolé à la chapelle qu’un homme du hameau voisin venait ouvrir chaque jour « pour aérer le petit Jésus ». Mes voisins les plus proches étaient les morts du petit cimetière, tous à peu près centenaires et parfaitement sereins sous les cyprès. La vue était belle, le calme absolu. La huppe était venue se poser un instant à la fenêtre de ma chambre. C’était ma première rencontre avec l’oiseau coiffé.

Nous écrivons la nature

Cees NOOTEBOOM relate [dans Hôtel Nomade, p.105-121] sa rencontre avec Tim Robinson, mathématicien, cartographe, chroniqueur et peintre, qui a passé douze ans de sa vie dans les îles d’Aran 1, à répertorier les usages, les coutumes, les musiques, les saisons, les paysages, les sentiers, les rochers remarquables, les ruines, les églises magiques, le bruit de cailloux roulés de la langue gaélique, … 2 A la toute fin de ce petit récit, Nootebom cite Robinson. La citation est en tous points remarquable. Elle ouvre une perspective inaperçue sur notre rapport à la nature. Voyez plutôt.

La nature ne sait rien de nous et ne se préoccupe pas de nous. Ce luxe de métaphores que nous avons inventées pour les appliquer à la nature n’est ni plus ni moins qu’une tentative de communication avec la réalité non humaine, tentative vouée à l’échec. Le seul sens qui soit, c’est nous, tout ce que nous lisons dans la nature, c’est nous qui l’avons écrit, nous composons un écrit si grandiose et si polyphonique que, lorsque nous reconnaissons nos propres phrases, nous ne les reconnaissons pas comme écrites par nous.