L’hospitalité

Le seul mode qui rend (rendrait ?) possible d’habiter ensemble cette terre.

Jean-Pierre Vernant, alors jeune voyageur en Grèce (en 1935), comme quelque temps plus tard Jacques Lacarrière 1, note l’extraordinaire hospitalité des Grecs:

C’est une leçon que je n’ai jamais oubliée, la démonstration, encore bien vivante aujourd’hui chez moi, que quand un étranger arrive dans un village, les gens du village considèrent que cet étranger leur fait honneur, qu’il leur apporte quelque chose; c’était la dispute sur la place pour savoir qui nous prendrait chez lui ! 2

Le même note un peu plus loin [page 92]:

Homère opposait déjà le monde des hommes civilisés à celui des sauvages, c’est-à-dire des individus qui ne respectent pas les règles, en particulier les règles de l’hospitalité; (…)

Je ne sais plus où j’ai noté que le mot grec xenos veut dire hôte et non pas étranger; xenia, c’est l’hospitalité. Et où ai-je lu que xenos viendrait du nom de « Zeus » et donc est lié à la divinité ? Voilà qui renverse la perspective.

La sagesse bouddhiste dit aussi: Autour du feu, il n’y a plus ni hôte, ni invité.


Et sur ce mot, la voix des poètes:

L’hospitalité envahit le monde, le jardin, les livres qui me servent de contre-poids. L’hospitalité approche les êtres et les choses, l’hospitalité ne fait plus peur, l’hospitalité est le silence intérieur, est un tournoiement d’abeilles, est la chaise inoccupée, est le visage des disparus, est la beauté d’une passante. L’hospitalité porte le nom de tous les dieux, elle annonce la venue du dieu oublié, elle dresse la table, elle attend la tombée du jour … l’utopie chante l’hospitalité sur l’air de la mélodie du bonheur.

Gaspard HONS, Un papillon posé sur un livre de Georges Perec

Il disait aussi: Il y aura toujours un érudit loquace et passablement convaincant qui, à grands renforts d’arguments, attribuera la progressive dégradation de notre relation à autrui, à l’obstination de quelques-uns à croire encore l’homme capable d’hospitalité. Evite-le.

En deçà de la responsabilité, il y a la solidarité.
Au-delà, il y a l’hospitalité.

Edmond Jabès, Le Livre de l’Hospitalité, Gallimard

La relation de soin

Le soin, le souci, l’attention, sont autant de notions qui résument une norme forte du rapport à l’autre; elles semblent porter en elles-mêmes leur signification morale mais, au-delà de cette évidence, il y a aujourd’hui un courant philosophique qui fait de ces notions, et tout particulièrement de la notion de soin, le socle d’une morale radicalement nouvelle, qui serait au-delà de la morale des règles, de la morale des responsabilités ou de la morale des vertus. L’enjeu est de placer, à côté de l’armature de la philosophie morale, une relation de soin fondatrice du rapport à l’autre et fondatrice du rapport à soi. A l’origine d’une morale, mais également d’une politique.

France Culture, émission du 22/11/2012, Monique Canto-Sperber reçoit Frédéric Worms (professeur à Lille III): Que veut dire une éthique du soin ?

Juliette, encore

En janvier 2010, Juliette Binoche était sur France Culture, dans une série d’entretiens qu’elle accordait à Jérôme Clément1. Je trouve toujours absolument remarquable la connaissance qu’elle a de son art, la compréhension de son métier. C’est une des artistes les plus intéressantes que je connaisse.

Dans le premier entretien – celui du 4 janvier, elle parle de la volonté, cette volonté de bien faire, … Elle dit: Cette volonté doit être cassée. Parce qu’on n’avance pas qu’avec la volonté, on avance aussi avec les laisser-faire, avec les arrêts, avec les brisures. Et là aussi, on a besoin de l’autre pour nous arrêter.

Et un peu plus loin: L’écoute, ce n’est pas une maîtrise. L’écoute de l’autre, c’est se laisser porter ; même s’il y a une négociation interne avec le désir qu’on a de soi et le désir de l’autre, mais cette négociation est magique quand il y a synergie, … qu’on ne sait plus qui crée quoi.

L’intrigue

J’emprunte à Jean-François REY (Altérités, p.30-31) le concept d’intrigue, dans deux sens au moins. Il explique: nous sommes intrigués par l’autre, mais en même temps, nous sommes liés à lui par une intrigue, empêtrés dans cette intrigue. La rencontre peut donc être à l’origine d’un double état : de satisfaction, de plaisir, voire de joie, …, mais aussi de déplaisir, d’inquiétude ou d’angoisse. Les deux mouvements sont en tension et cette tension est féconde.