Le poteau d’angle

Jaccottet1J’ai noté, il y a bien des années déjà, ce très beau texte de Philippe JACCOTTET [extrait de Notes nocturnes]. Il éveille un écho: les Poteaux d’angle de Michaux. J’aime l’idée de ces piles sur lesquelles s’appuyer, de ces poteaux auxquels on s’adosse. Nos découvertes – de lecteurs, d’auditeurs, d’artistes – sont progressivement remplies de ces poteaux. Ils forment, petit à petit, une véritable forêt.

Adossé, vermoulu,
à ce pilier à peine moins précaire,

j’aimerais ne plus délivrer que des paroles
qui éparpillent les toits
(car même un toit de paille pèse trop
s’il vous sépare du rucher nocturne).

Des paroles pareilles
aux actes des fleurs, bleus ou rouges,
à leur parfum.

Je ne veux plus des labyrinthes,
même pas d’une porte :

juste un poteau d’angle
et une brassée d’air.

Déliés les pieds, délié l’esprit,
libres, mains et regards :

alors, le deuil nocturne
est entamé par en bas.

Gilbert HOUËL

Dans la revue Conférence (n°29), je découvre avec délectation la très belle poésie inédite de Gilbert HOUËL (1919-2007). Le petit mot d’introduction nous apprend que l’auteur était premier violon à l’Orchestre National. Il a très peu publié, semble-t-il. Je n’ai trouvé qu’un recueil, épuisé aujourd’hui. Cette poésie fait écho pour moi à d’autres textes, ceux de Follain, par exemple. On y trouve la même évocation de l’enfance et d’un passé désuet. Textes profonds, magnifiques.

Voix d’enfance des déversoirs; elle perpétue en toi la campagne auréolée. Tu t’avances dans la profondeur qu’accroît la transparence du jour; le temps revécu t’accompagne et te porte aux confins naturels. Où se perd la distance de l’homme, ils proposent le règne et la paix qui te lient? Tu es l’égal de ce chant grave et de l’été souverain.

* * *

Rendez-moi la lampe du soir d’autrefois sur la campagne éteinte.

Rendez-moi l’octobre chancelant à voix de brume et d’enfances mortes.

Rendez-moi le long sommeil et le rêve perdus dans les chambres du temps qui s’éloigne.

* * *

Là-bas
Où la grande solitude de la terre
Tourne en rond indéfiniment
Comme une bête sauvage
Dans la cage du ciel

Il y a
Cernées d’eau et de nuit
ma vie
Et ma peine bien aimée
Main dans la main
Sous la lampe étroite
Et la rouge chaleur du coeur endormi
Qui se souvient.

La vie réelle

C’est sans doute à une vie aussi réelle, mais aussi inconnue de moi, que le fonctionnement de mon cœur, de mon cerveau, la façon dont sommeil et réveil interviennent — que la poésie est liée.

Henri THOMAS, Deux étapes (Poésies, Gallimard)

La grammaire

– A l’étude, il apprendra à connaître des morceaux essentiels du monde, les volcans, les plaines, les mers, les fleuves. Et puis la grammaire, surtout la grammaire.

– La grammaire ? murmura Mlle Dargnies.

– La grammaire, reprit Thomas, c’est aussi profond que le ciel, mais mille fois plus compliqué.

Songez-y bien : nous savons que les astres suivent toujours le même chemin dans le temps et dans l’espace. On ne peut pas avoir cette assurance pour nos plus humbles phrases.

André DHÔTEL, La maison du bout du monde, p.64