L’hommage au rocher

Pour dominer l’univers naturel, l’homme occidental s’est séparé de lui. Cette attitude héroïque, agressive et conquérante à l’égard de l’environnement est bien illustrée par l’exemple dans l’art des jardins classiques (…) où la nature est soumise, déformée, violée, réduite et taillée de façon à devenir entièrement conforme à une géométrie et un dessin que lui impose l’homme. Dans une telle perspective, rigoureusement anthropocentrique, les formes et les motifs naturels, non façonnés de main d’homme, et dont la complexité mystérieuse ne reflète celle d’aucun cerveau, acquièrent automatiquement quelque chose de menaçant. Leur autonomie hermétique limite et met en question l’empire de l’esprit humain. Les Chinois, eux, avaient renoncé à dominer la nature afin de demeurer en communion avec elle. (…) On pense aussitôt au geste exemplaire de Mi Fu, représentant admirable et typique de l’esthétique chinoise à son point d’apogée (XIe siècle) : Mi, arrivant au poste de l’administration provinciale où il venait d’être nommé, mit ses vêtements de cour, mais au lieu de faire d’abord sa visite de courtoisie au préfet local, il alla présenter ses hommages à un rocher célèbre pour ses formes fantastiques.

Simon LEYS, La forêt en feu, in Essais sur la Chine, p.585-586

L’espace intérieur

Comment être pensé par la nature.

C’est comme s’il y avait une merveille constante autour de nous dans la nature, mais qui ne peut être touchée réellement… Qui peut être observée tout le temps, mais qui ne peut être touchée réellement que dans l’espace intérieur qui est en nous, qui est beaucoup plus immense qu’on ne l’imagine ; la nature ne peut correspondre à cet espace intérieur qu’à l’improviste, par surprise, tout à coup. Et il faut laisser un rythme physique avec la marche, le pied, le souffle, la respiration et puis l’esprit en même temps, libre par rapport à cela. Regarder, détailler le monde sans insister, pouvoir s’en apercevoir. (…)

Maurice CHAPPAZ, A-Dieu-Vat, Entretiens avec Jérôme Meizoz, p. 99

La cabane

Je songe à la cabane au milieu des vignes dont parle le premier chapitre d’Isaïe. On s’y réfugie, on y est bien parce que tout, alentour, est dévasté. Magnifique et dévasté.

Christophe CARRAUD, in Conférence n° 25, p. 163


(…) Je pense que, plus fondamentalement, la cabane a quelque chose à voir avec le corps mobile et itinérant, avec le corps que nous sommes, la maison avec le corps que nous avons. Certes, les deux sont le même corps, mais perçu différemment. L’un de l’intérieur, le « corps propre » ou corps organique (Leib) comme dit Husserl, l’autre, de l’extérieur, corps-objet (Körper), que je puis saisir comme n’importe quel autre objet. Ce corps que j’ai et que je suis à la fois ou que je suis sur le mode de l’avoir est aussi, d’un certain point de vue, une forme d’abri.

Gilles A.TIBERGHIEN, Notes sur la nature, la cabane et quelques autres choses, p. 41