La spirale, le cercle, le réseau

Le chemin sinuant, la courbe, le réseau, la toile des sentiers qui se croisent ou forment des spirales, épousent à la fois le rythme des pas, la multiplicité des alertes, le renouvellement infini des sollicitations. Ces formes, partout dans le monde, sont associées aux déplacements des peuples nomades, des chasseurs, des guerriers, … Ils forment de très anciennes traces dans nos mémoires. Ils s’illustrent aussi sur les parois des abris sous roches, constellés de gravures, depuis des temps immémoriaux.

Je me souviens de ces traces dans le désert mauritanien, sur les pentes de l’Himalaya, mais aussi, beaucoup plus proches de nous, les sentes des anciennes transhumances à travers le Causse ou vers les massifs des Cévennes. 1

Le déplacement mécanique me morcelle. Il me faut toujours retrouver le rythme balancé de la marche, cette connaissance qui écrit des pas souvent invisibles sur la peau du paysage, qui fait accéder à une conscience de l’instant, hors de la durée. C’est peut-être ce que veulent nous dire ces spirales néolithiques gravées dans le roc de Carschenna, dans les Grisons: l’onde qui se propage est l’image d’une réalité qui se déploie, respire. (Je crois entendre Rilke disant: « Je vis ma vie en cercles de plus en plus grands / qui sur les choses s’étendent »). On retrouve ces images de spirales gravées sur bien des rocs à la surface de la terre, comme si les peuples qu’on dit premiers avaient voulu rendre compte d’une connaissance possible du monde. Une onde qui s’amplifie, qui rayonne. (…)

Alain Bernaud, Sur le chemin du Pan perdu, in Conférence n°20, p. 56 Continuer la lecture de « La spirale, le cercle, le réseau »

Routes

Suivre un trajet est, je crois, le mode fondamental que les êtres vivants, humains et non humains, adoptent pour habiter la terre. (…)

Chez les Inuits, il suffit qu’une personne se mette en mouvement pour qu’elle devienne une ligne. Pour chasser un animal, ou retrouver quelqu’un qui s’est peut-être perdu, les Inuits tracent une piste linéaire dans l’étendue et se mettent en quête d’indices menant à une autre piste jusqu’à atteindre le but recherché. Le pays entier est donc perçu comme un entrelacs de lignes et non comme une surface continue.

Tim INGOLD, Une brève histoire des lignes, Z/S

Les routes aux États-Unis suivent souvent le tracé d’anciennes pistes indiennes, et même certaines rues des grandes villes dont Broadway est l’exemple le plus célèbre. (…) Les Américains ont d’ailleurs ce qu’on peut appeler une « culture » de la route qui nous est inconnue en Europe (…). Il semblerait (…) que les grands sentiers de migrations indiens étaient tracés par les bisons. Les Indiens de toutes façons se déplaçaient beaucoup et facilement : ils pouvaient se dérouter au moindre prétexte — la visite d’un ami, une fête, un raid sur un village voisin. Les sentiers étaient de différents types avec des fonctions précises : celui qui mène aux champs, celui qui conduit au monde extérieur et puis aussi le fameux « sentier de la guerre » qui existait vraiment.

Gilles A. TIBERGHIEN, Notes sur la nature, la cabane et quelques autres choses

Voir aussi, sur une autre page, Mémoires indiennes.

La cabane

Je songe à la cabane au milieu des vignes dont parle le premier chapitre d’Isaïe. On s’y réfugie, on y est bien parce que tout, alentour, est dévasté. Magnifique et dévasté.

Christophe CARRAUD, in Conférence n° 25, p. 163


(…) Je pense que, plus fondamentalement, la cabane a quelque chose à voir avec le corps mobile et itinérant, avec le corps que nous sommes, la maison avec le corps que nous avons. Certes, les deux sont le même corps, mais perçu différemment. L’un de l’intérieur, le « corps propre » ou corps organique (Leib) comme dit Husserl, l’autre, de l’extérieur, corps-objet (Körper), que je puis saisir comme n’importe quel autre objet. Ce corps que j’ai et que je suis à la fois ou que je suis sur le mode de l’avoir est aussi, d’un certain point de vue, une forme d’abri.

Gilles A.TIBERGHIEN, Notes sur la nature, la cabane et quelques autres choses, p. 41