Paul Celan

Depuis de nombreuses années, je lis – par intervalles, parfois très longs -, la poésie de Paul Celan, dans des éditions bilingues, texte allemand et français en « juxta », comme on disait. Dans le deuxième volume de Partages, André Markowicz dit si justement cette impuissance à franchir la barrière de la traduction.

Il y a trois poètes allemands qui m’accompagnent, toute la vie. Hölderlin, Rilke et Celan. Je ne peux en lire aucun. Je ne peux, pour chacun d’eux, que tâtonner autour des ombres que sont les traductions, en essayant de deviner l’immensité – pas deviner l’immensité, parce qu’elle est évidente. Non, deviner les détails, les preuves. Deviner les illuminations que contiennent tous les textes que je lis d’eux. (…)

Je ne comprends que par bribes la façon dont Celan peut casser la langue allemande, mais je comprends que, s’il est possible, lui, c’est qu’il est dans la langue allemande, – devrais-je dire qu’il est, après-guerre, la langue allemande en tant que telle, exsangue, noir-jaune, et fulgurante de toute sa douleur accumulée ?

La beauté et la peur

J’extrais ce passionnant ouvrage, le 2e volume de Partages, de André Markowicz. Il est fait de ses chroniques publiées régulièrement sur Facebook depuis 2013. J’y reviendrai par ailleurs, notamment sur le rôle du traducteur – Markowicz est un traducteur/auteur exceptionnel. Dans son article daté du 9 septembre 2014, il parle de Macbeth, la pièce de Shakespeare et en particulier du son.

Il note, et je suis saisi par cette évidence:

Macbeth est une pièce qui fait peur, et c’est une pièce sur la peur. – Pas seulement la peur de la mort, la peur du sang, la peur des fantômes ou de ses propres fantômes. Non, la peur de la beauté, peut-être… La beauté comme élément insupportable. La réaction de Nastassia Filippovna devant l’Idiot. Ce que Rilke devait résumer en une formule: Jeder Engel ist schreklich – « chaque ange est terrible ».

La spirale, le cercle, le réseau

Le chemin sinuant, la courbe, le réseau, la toile des sentiers qui se croisent ou forment des spirales, épousent à la fois le rythme des pas, la multiplicité des alertes, le renouvellement infini des sollicitations. Ces formes, partout dans le monde, sont associées aux déplacements des peuples nomades, des chasseurs, des guerriers, … Ils forment de très anciennes traces dans nos mémoires. Ils s’illustrent aussi sur les parois des abris sous roches, constellés de gravures, depuis des temps immémoriaux.

Je me souviens de ces traces dans le désert mauritanien, sur les pentes de l’Himalaya, mais aussi, beaucoup plus proches de nous, les sentes des anciennes transhumances à travers le Causse ou vers les massifs des Cévennes. 1

Le déplacement mécanique me morcelle. Il me faut toujours retrouver le rythme balancé de la marche, cette connaissance qui écrit des pas souvent invisibles sur la peau du paysage, qui fait accéder à une conscience de l’instant, hors de la durée. C’est peut-être ce que veulent nous dire ces spirales néolithiques gravées dans le roc de Carschenna, dans les Grisons: l’onde qui se propage est l’image d’une réalité qui se déploie, respire. (Je crois entendre Rilke disant: « Je vis ma vie en cercles de plus en plus grands / qui sur les choses s’étendent »). On retrouve ces images de spirales gravées sur bien des rocs à la surface de la terre, comme si les peuples qu’on dit premiers avaient voulu rendre compte d’une connaissance possible du monde. Une onde qui s’amplifie, qui rayonne. (…)

Alain Bernaud, Sur le chemin du Pan perdu, in Conférence n°20, p. 56 Continuer la lecture de « La spirale, le cercle, le réseau »

Qu’est-ce que la poésie ?

Anne VL 293Peut-être sommes-nous ici pour dire: maison, fontaine, pont, cruche, porte, verger, fenêtre, – tout au plus: colonne, clocher … mais les dire, comprends-le, oh! les dire de telle sorte, que jamais au fond d’elles-mêmes ces choses ne pussent douter d’être cela.

R.M. RILKE, Neuvième élégie