La spirale, le cercle, le réseau

Le chemin sinuant, la courbe, le réseau, la toile des sentiers qui se croisent ou forment des spirales, épousent à la fois le rythme des pas, la multiplicité des alertes, le renouvellement infini des sollicitations. Ces formes, partout dans le monde, sont associées aux déplacements des peuples nomades, des chasseurs, des guerriers, … Ils forment de très anciennes traces dans nos mémoires. Ils s’illustrent aussi sur les parois des abris sous roches, constellés de gravures, depuis des temps immémoriaux.

Je me souviens de ces traces dans le désert mauritanien, sur les pentes de l’Himalaya, mais aussi, beaucoup plus proches de nous, les sentes des anciennes transhumances à travers le Causse ou vers les massifs des Cévennes. 1

Le déplacement mécanique me morcelle. Il me faut toujours retrouver le rythme balancé de la marche, cette connaissance qui écrit des pas souvent invisibles sur la peau du paysage, qui fait accéder à une conscience de l’instant, hors de la durée. C’est peut-être ce que veulent nous dire ces spirales néolithiques gravées dans le roc de Carschenna, dans les Grisons: l’onde qui se propage est l’image d’une réalité qui se déploie, respire. (Je crois entendre Rilke disant: « Je vis ma vie en cercles de plus en plus grands / qui sur les choses s’étendent »). On retrouve ces images de spirales gravées sur bien des rocs à la surface de la terre, comme si les peuples qu’on dit premiers avaient voulu rendre compte d’une connaissance possible du monde. Une onde qui s’amplifie, qui rayonne. (…)

Alain Bernaud, Sur le chemin du Pan perdu, in Conférence n°20, p. 56


Gilles A.Tiberghien2 cite les travaux de Enrico Guidoni sur les Aborigènes d’Australie: le territoire est classé suivant ses caractéristiques géographiques et historiques.

« À la base de cette structure se place le dualisme entre le lieu de halte et le sentier. » Cela est induit par le mode de vie de ces populations dont l’existence, faite de cueillette et de chasse, suppose la possibilité de prévoir un certain nombre d’itinéraires et en conséquence d’endroits où pouvoir camper. Ce dualisme se traduit à travers des couples figurés par le cercle et la droite. Le territoire est ainsi conçu comme un réseau de centres, une gigantesque toile d’araignée qui relie ces centres entre eux. La terre est une affaire collective, chacun étant le partenaire de tous dans la propriété d’un rêve qui le lie au monde naturel. Ce que Bruce Chatwin a relaté dans Le Chant des pistes. Le monde des aborigènes est un vaste chant dont chacun connaît une partie. (…) Les mares d’eau autour desquelles s’établissent les campements et que représentent les cercles sont les points de passage avec le monde des songes, les lieux par où les ancêtres surgissent dans notre monde et grâce auxquels nous pouvons remonter à la « source de vie ».

A l’inverse [p. 102-103], il évoque la modélisation du paysage par la décision politique (occidentale), opposée au modèle des peuples premiers (le cercle, l’espace mobile).

Voir la Terre du ciel pourrait donner l’illusion de saisir l’ordre d’un monde voulu par son créateur. Pourtant, c’est plutôt le contraire que l’on observe, une organisation proprement humaine, dont le « Nouveau Monde » porte une marque exemplaire, cette « grille » voulue par Jefferson et qui s’étend jusqu’à la côte Ouest en n’épargnant que les 13 premiers Etats de l’Est déjà constitués avant l’ordonnance de 1787.

  1. Pierre Clément, Les Chemins à travers les âges en Cévennes et Bas Languedoc, Presses du Languedoc – Max Chaleil éditeur 1989
  2. Notes sur la nature, la cabane et quelques autres choses, p. 29-30