Les écluses de l’inachevé

Jean SUR explique quelque part que le pouvoir – qu’il appelle cette crispation prétentieuse et puérile du moi n’est, précisément, rien. Il faut donc abandonner le pouvoir, la crispation, pour la liberté du lâcher prise et de la confiance. Le pouvoir empêche l’accès au monde et l’accès à soi-même. Il parle de rouvrir les écluses de l’inachevé et du mystère. Au-delà de la formule, un programme ! qui est magnifique.

Le poids de la main

Il y a de nombreuses années, j’ai été le spectateur émerveillé d’un ballet de Wim Vandekeybus, Le poids de la main. C’était, pour moi, d’une nouveauté totale, tant par la prise de risque que par la beauté étrange qui émanait de toutes les scènes. J’ai gardé l’écho de cette gravité – poids du corps sur le sol, poids de la main qui percute la table sonorisée et la transforme en instrument, poids des bûches que les danseurs prenaient le risque de se lancer à travers la scène.

En écho, voici la recommandation de Jacques BERQUE au jeune Jean SUR, alors étudiant, qui le questionnait sur son avenir: que dois-je entreprendre ? Augmentez votre poids spécifique.

Et encore, cette note de C.A. CINGRIA, rapportée par Bouvier (Cingria en roue libre, p. 141): Comprenez que pour écrire – signifier – il faut le poids d’abord, le poids juste qui est astral.

Ce « poids juste » est celui de notre incarnation de chanteur, de musicien, sans lequel aucune fondation ne tient et aucun élan n’est possible.

Des coups au visage

Il est rapporté, dans presque tous les témoignages documentés1, que la violence faite aux femmes se porte d’abord au visage et au ventre. Je suis saisi par le fait que ce sont les zones les plus expressives de l’humain, les plus vulnérables comme les plus symboliques, qui sont ainsi frappées, mais aussi parce que ce sont les centres du chant: le ventre et le visage – l’énergie et l’expression, la force et l’émotion. Ce n’est pas un hasard.

Pas un hasard non plus d’entendre, lors d’une représentation des Barbares de Maxime Gorki, dans la 3e partie, Anna Fiodorovna revenant vers son mari, qui raconte ce qu’elle a vu « là-bas »: des enfants maltraités, des femmes battues « à coups de poing sur les yeux, sur la bouche, … dans le visage, à coups de pieds dans le ventre ».