Ne rien faire … ?

Une façon de comprendre le « lâcher-prise », dans la perception chinoise de l’efficacité. C’est une approche féconde pour le travail musical, et singulièrement le travail vocal.

François JULLIEN, dans sa Conférence sur l’efficacité, p. 53, explicite ce qu’on doit entendre par le « non agir »:
Ne rien faire mais que rien ne soit pas fait, ou encore Ne rien faire de sorte que rien ne soit pas fait.

Nier la pesanteur

Si les oiseaux ne chantaient pas, nous ne chanterions pas nous non plus. Notre chant vient de loin, du gosier strié des reptiles, des joues flasques des batraciens. Ultime cri des mots pour dire que nous sommes. Le chant nie la pesanteur des corps (c’est pourquoi on dit qu’il s’ élève) comme les mots nient la pesanteur des choses. Quand j’écris terre, ce mot ne pèse rien, presque rien sur la page. Et quand j’écris soleil, j’échange des myriades de tonnes contre deux syllabes sans poids. Ainsi du chant qui mue le corps en souffle, la chair en air. Non, notre chant à nous ne dit pas : nous sommes. Il dit: nous sommes autres.

Jacques LACARRIERE, Sourates, p. 89

Cette évocation de la légèreté me rappelle d’insérer ici une mention de la Première leçon que Italo CALVINO aurait dû donner à Harvard, et qui est publiée avec 4 autres sous le titre des Leçons américaines [Aide-mémoire pour le prochain millénaire]. Les 5 Leçons – Légèreté, Rapidité, Exactitude, Visibilité, Multiplicité –  sont toutes admirables.

Dans la Première leçon [Légèreté], j’ai noté:

Si je voulais choisir un symbole votif pour saluer le nouveau millénaire, je choisirais celui-ci: le bond agile et imprévu du poète-philosophe [Cavalcanti] qui prend appui sur la pesanteur du monde, démontrant que sa gravité détient le secret de la légèreté – alors que ce qui passe aux yeux de beaucoup pour la vitalité d’une époque bruyante, agressive, piaffante et vrombissante appartient aussi sûrement au règne de la mort qu’un cimetière d’automobiles rouillées.

L’attention patiente

L’hypomènè, l’attention patiente, ignorée des esprits efficaces. Elle filme en contre-plongée ce qu’aplatissent les idéologies, rehausse de couleurs ce que les moralistes voient en noir et blanc, rend leur troisième dimension aux consciences binaires désolées. Elle guette le haut qui vient du dessous, elle détecte la vie, de quelque façon qu’elle apparaisse, terne ou coruscante, harmonieuse ou grinçante. Flaireuse de signes, l’attention attend tranquillement que quelque part ça s’accorde ou, au contraire, ça se désaccorde. Les deux scénarios lui conviennent très bien.

Jean Sur, Le Marché de Résurgences n°XXXV

Vénérer la réceptivité

Noté ceci, dans Conférence n°6, p. 187 (Livane PINET-THELOT, Approche de Palézieux), qui éclaire une façon de comprendre l’attention et propose la « réceptivité » comme voyance.

Plutôt que de l’application, qu’une attention active, il faut, comme dit Shitao dans ses Propos sur la peinture du moine Citrouille-amère, vénérer la réceptivité. Autrement dit, il ne faut pas chercher à rendre le motif dans ses détails, à lui être fidèle en apparence; mais il faut devenir voyant: se laisser pénétrer par l’essentiel de ce qu’il est, sous l’apparence, afin de lui être fidèle en vérité.