L’intelligence attentive

Un et un peuvent rester côte à côte durant la perpétuité des temps, ils ne seront jamais deux si une intelligence n’opère pas l’acte de les ajouter. L’intelligence attentive a seule la vertu d’opérer les connexions, et dès que l’attention se détend les connexions se dissolvent. Or l’intelligence attentive n’est pas précisément ce qu’encourage l’école d’aujourd’hui, qui lui préfère l’expression.

Dans la présentation par Olivier REY de l’article de Laurent Laforgue, L’école victime de la confusion des ordres, Conférence n°22, p. 298

Il faut abdiquer l’intelligence

Qu’un homme, qu’un acteur aussi fin que Fabrice Lucchini rapporte ainsi la règle d’un de ses maîtres, Louis Jouvet, aurait de quoi nous étonner. Pourtant, tout est juste dans ces citations, de Jouvet, de Bouquet, mêlées au fil de l’entretien entre Lucchini et Laure Adler (France Inter 10 octobre 2007), au point où l’on finit par ne plus savoir exactement lequel des deux il est en train de citer…

Je prends des notes.

Jouvet.
Sur le souffle:  Épuisez la phrase (au sens physique du terme). Pour être comédien, il faut abdiquer l’intelligence. Ton intelligence est superflue. Il faut vivre la passion de l’acteur.

Bouquet.
C’est l’auteur qui joue la comédie. Et l’auteur ne peut pas venir la jouer sur le théâtre ! Mais c’est lui qui est en cause, c’est lui qui est l’intérêt du théâtre. L’acteur ne sert que d’intermédiaire entre la parole de l’auteur, son sentiment des choses, sa manière de voir le monde, le caractère universel de sa pensée, etc, … véhiculés par l’acteur qui les transmet, lui, au public. L’intérêt réel de l’acteur n’est pas de montrer ce qu’il en pense. C’est bien l’auteur qui joue à travers l’acteur.

Jouvet.
Le comédien s’élève, par une lente insinuation, à l’altitude du personnage dont il a la responsabilité mais qu’il n’a pas à incarner. Tu n’as pas à marcher, tu dois te mettre dans les pas, tu dois chercher dans ton travail les pas tels qu’ils ont été faits. C’est une force en mouvement.

Juliette

Si vous voulez bien prendre un peu de temps – et ce temps-là n’est pas perdu !, je vous invite à écouter l’intervention de Juliette BINOCHE sur le site de Canal U. C’est la vidéo d’entretiens avec le public à la Cinémathèque française en novembre 2008. Il y a deux épisodes à écouter à la suite, plus un dialogue avec S.Toubiana, le directeur de la Cinémathèque

Elle est absolument remarquable ! Elle y parle magnifiquement du métier d’actrice, de l’énergie, des textes à apprendre, du souffle, de la danse, de la peinture, de l’écriture, de tout ce qui « passe à travers soi », … Tout ce qui habite une vraie pratique artistique.

L’adresse

Où il est question de l’adresse :  à qui s’adresse mon cri ? à qui s’adresse ce geste de création, ce foisonnement de l’écriture, ce mouvement, ce pas de danse, cet élan du corps, cet envol de la voix, cette poussée du souffle ?

L’homme qui s’écrit/s’écrie: l’homophonie n’est pas neutre. Et le cri, c’est bien plus que l’adresse à un public. Maurice CHAPPAZ écrit quelque part (A-Dieu-vat, p. 179), que l’homme qui écrit appelle sa mère aussi.

Il est curieux de noter que plusieurs auteurs, aussi différents que Chappaz, Vonnegut ou Lu Xun, pressentent une adresse similaire: celle qui va au public d’une seule personne.

Je soupçonne que toute création qui possède une unité vraie et une harmonie bien à elle est le fait d’un artiste ou d’un inventeur qui a dans sa tête une personne bien précise qui lui sert de public.

Kurt VONNEGUT, Le cri de l’engoulevent, p.24

La création, même quand elle n’est qu’un épanchement du coeur, souhaite se trouver une audience. La création est sociale par définition même. Mais elle peut fort bien se contenter d’un seul lecteur : un vieil ami, une amante. (LU XUN, cité par Simon LEYS, in Écrits sur la Chine, p. 715)