Pas de gras

Elle est magnifique, la voix de Florence Delay qui incarne, toute jeune comédienne, Jeanne d’Arc dans le film de Robert Bresson. Et très émouvant l’hommage de Marcel Bozonnet qui, à l’écoute d’un extrait1, dit à quel point cette voix le touche. Il dit combien ce qu’il ne veut pas appeler la diction, mais la manière de parler de Florence Delay est admirable: pas de pathos, « sans gras », elle va droit au sens, avec cette légère précipitation dans le débit qui file, direct, …

Je me dis, immédiatement, à l’écouter elle, à l’écouter lui ensuite, que c’est exactement « ça »: l’idéal de l’interprétation, en lecture, en musique. Aussi près que possible des mots. Rien que « ça ».
Mais, de l’expérimenter, de le travailler longuement, je mesure à quel point c’est difficile. Florence Delay ajoute, tout à la fin de l’émission, que pour elle le mot de la langue française le plus difficile à dire est le mot « oui ». Continuer la lecture de « Pas de gras »

Accompagner

Claude LEFORT, dans une conférence qu’il a donnée le 17 novembre 2007, rappelle: dans toute démarche herméneutique, dans tout travail d’interprétation (d’un texte, d’un programme, d’une injonction,…), nous devons renoncer au projet de maîtriser le texte mais plutôt choisir l’accompagnement de sa signification. Il nous faut accompagner le sens et non vouloir le maîtriser.

Par analogie, je travaille sur ce geste d’interprétation: accompagner la ligne musicale et non pas vouloir en prendre possession. Physiquement, il est très important de figurer le geste de l’accompagnement, quand le bras s’arrondit pour laisser le passage, ou quand le bras s’offre pour accorder le pas, … etc.
Constamment , je reprends ce travail de l’accompagnement : ne prenez pas votre voix en otage, ne cherchez pas à maîtriser le son ou la musique, mais ayez simplement ce geste d’accueil, de soutien, … La sonorité de l’ensemble en est transformée. Mais – en répétition, et souvent ! – il faut absolument le geste.

Une perfection absolue ?

L’interprétation de l’œuvre musicale n’épuise jamais son objet.

Il est remarquable de noter que les plus grands interprètes eux-mêmes reprennent plusieurs fois le même ouvrage, pour en offrir une approche plus aboutie, plus riche, …  Et pourtant, à chaque étape, nous estimons qu’ils touchent à la « perfection absolue ». Comme l’expliquait un jour, dans une émission du matin (Première Édition, F.Culture), Yves Angelo, le réalisateur de « Sur le bout des doigts », cette perfection absolue de l’interprétation musicale fait partie de notre quotidien, elle n’est pas un idéal inaccessible.

Nous, les praticiens, nous sommes dans la perfection absolue quand la musique est en adéquation parfaite avec nos émotions, dans le moment de l’exécution. Vous voyez bien, je pense, de quoi je veux parler. Et cette perfection absolue est reconductible, par un chemin long et parfois difficile, dans une recherche permanente. L’idéal est, en outre, l’adéquation avec la création, non seulement à travers ce que le créateur a lui-même apporté, mais dans l’ouverture et l’enrichissement magistral de l’expérience accumulée de nos vies respectives. Là, il n’y a pas de limites. La marche n’atteint jamais le but mais reste toujours une longue marche d’approche.