Inventer de nouveaux récits

Par analogie avec le travail des chercheurs et des philosophes (voir à ce sujet le très riche ouvrage dirigé par Emilie Hache, De l’univers clos au monde infini), je note que les artistes sont dans la nécessité d’inventer aujourd’hui de nouveaux récits. C’est aussi la découverte que j’ai renouvelée récemment en travaillant avec Th.Heynderickx et Martha Rodezno.

Les mots d’Emilie Hache font sens pour un musicien, pour un danseur:

Quels mythes font aujourd’hui tenir le monde face à la possibilité de son démembrement ? (…) Il faut renouveler nos modes de perception, notre sensibilité; pouvoir répondre à ce qui est en train de nous arriver.

Le récit, comme puissance d’affecter et de transformer. [je souligne]
Les récits nous font littéralement tenir debout.

(…) il importe de dramatiser ce changement d’une façon qui tienne compte du passé, c’est-à-dire des situations existantes de destruction et de perte… [par analogie encore, le bouleversement de la dramatisation fondée sur notre imaginaire et sur les impulsions du corps en mouvement].

(…) il faut multiplier les zones de contact avec d’autres manières de sentir et de penser. [précisément, dans la pratique artistique, ce n’est pas métaphorique. Le fait que ce ne le soit pas, est essentiel]

(…) ce qui se fait défie toute appropriation.

Motivation – mouvement

  On dit souvent qu’il y a démotivation parce qu’il y a perte de confiance. Or il ne s’agit pas seulement d’une perte de confiance, mais bien d’une perte de croyance, c’est-à-dire de motifs. La démotivation est l’exténuation d’un modèle de la raison qui a été transformée en ratio, c’est-à-dire en calcul : en comptabilité. Les techniciens qui formulent des ratios sont les experts du contrôle de gestion, et ils mettent en œuvre une conception unilatérale de la raison comme ratio, qui, sans être équilibrée par d’autres motifs que le seul calcul de rentabilité, c’est-à-dire de performance, conduit à la destruction de la raison comme motif. La raison n’est pas le ratio. Le ratio est une compréhension calculatoire de la raison qui n’est pas fausse, mais qui est pauvre et insuffisante. La raison est la motivation : c’est ce qui met en mouvement. C’est ce qui émeut et c’est ce qui suppose une croyance dans un motif.

Bernard STIEGLER, Constituer l’Europe II, pp.66-67

Ecouter en arrière

Et il écoutera en arrière.
Livre d’Isaïe, 42-43.

Dans le travail avec l’ensemble vocal, je cherche à développer la capacité des chanteurs à se rendre disponible à l’instant, « rien que » pour l’accord que l’on fait vibrer. C’est à la fois le don – par le souffle – et l’écoute des autres et de l’équilibre ainsi créé. Sans projet, sans projection, sans objectif. « Rien que » cette disponibilité méditative plutôt que réflexive – celle qui ne génèrerait qu’une écoute inquiète de son propre son.

J’ai rencontré plusieurs fois à Rennes, Gabriel André – il dirige l’école de chant choral de St-Vincent. Je me souviendrai toujours de sa recommandation aux chanteurs : Faites la preuve que vous savez écouter ! (et pas que vous savez chanter, ce qui va de soi, ce dont tout le monde convient…).