Ma pratique: d’où je parle

SONY DSCUne disposition naturelle, la familiarité avec la polyphonie spontanée des réunions familiales et les hasards de la vie m’ont ouvert à la musique dans mon enfance puis m’ont conduit à la pratiquer d’une manière suivie, régulière à partir de l’âge de quinze ans. J’ai compris assez tardivement que c’est bien la musique qui m’a permis de surmonter la souffrance d’un deuil brutal éprouvé trop jeune.1 Si la musique m’a comblé, comme toute maîtresse exigeante elle a occupé beaucoup de place dans ma vie.

À aucun moment pourtant je n’ai eu le projet de devenir un musicien professionnel, à la fois par manque de confiance dans mon talent et parce que je voyais s’ouvrir devant moi beaucoup d’autres chemins possibles que je ne voulais pas manquer de parcourir. J’ai donc cumulé – comme beaucoup – une formation musicale, une pratique très régulière, avec des études, un métier. Je suis devenu ce qu’on appelle un « musicien amateur ». J’ai acquis et développé la plus grande partie de cette expérience par la direction de chœur. En 1981, le hasard m’a placé à la tête d’un ensemble vocal, au départ pour un intérim de quelques semaines, qui s’est prolongé de facto pendant plus de 30 ans. J’y ai tout appris.

Comme flûtiste, j’avais exploré la musique ancienne dans un petit ensemble d’amateurs (Les Compagnons de la Renaissance – l’ensemble existe toujours !). J’avais chanté au chœur universitaire de Louvain et, en 1979/1980, lors de mon séjour à Zagreb, dans le chœur Joza Vlahovic, dirigé par Emil Cossetto . J’ai connu ensuite le Chœur de chambre de Namur, la Capella Sancti Michaelis, le chœur de la Monnaie, Aquarius – en Flandres, j’ai participé à beaucoup de concerts, d’enregistrements, … Ces expériences-là m’ont formé, sans aucun doute. Mais c’est en tant que chef de chœur que j’ai construit, élaboré, complété mon projet artistique.

Fin 2009, j’ai laissé la charge que requièrent la direction et l’animation hebdomadaire d’un ensemble. En trente ans de travail assidu, j’avais fait le tour de la question. Je sentais que j’étais arrivé au terme de cette expérience. Il était temps de passer à autre chose. La création de mon Atelier Public répond, d’une certaine façon, à cet « autre chose ». Il s’agit de « recharger » mon objet de recherche, mon projet, ma quête. Ce site en est un des moyens. Il est aussi une façon de prendre en compte la totalité de mon expérience de musicien amateur, mes réussites et mes échecs – mais cela a-t-il un sens de nommer ainsi ce qui relève d’un processus ininterrompu, sans cesse en progrès, sur lequel ne se greffe aucune considération de succès (médiatique, narcissique, …) mais simplement celle du plaisir de la découverte permanente ? 2

Dans cet Atelier public je veux rendre compte de mon expérience de musicien amateur et, singulièrement, de chanteur et de chef de chœur. Il est question ici de la musique vocale d’ensemble, et de tout ce qu’on peut nommer indifféremment l’exercice polyphonique, le chant d’ensemble, le chant choral, le travail du chœur, l’ensemble vocal, …

  1. Je ne pense pas qu’à l’époque, âgé de douze ans, j’aie pu deviner ce que j’ai lu bien plus tard, si je ne me trompe, dans l’une des études de S.Freud, et qui me parut tout de suite évident: le mystère le plus intime de la musique est un geste de défense contre la paranoïa, nous faisons de la musique pour ne pas être submergés par les horreurs de la réalité.  W.G. SEBALD, Camp Santo
  2. La pratique artistique amateur (parce qu’elle est amateur) ne connaîtrait ni succès ni échecs ? Ne serait réductible, d’aucune façon, à ce clivage ? Parce qu’elle est, de toutes les façons, toujours une forme de succès/bonheur ?