Une perfection absolue ?

L’interprétation de l’œuvre musicale n’épuise jamais son objet.

Il est remarquable de noter que les plus grands interprètes eux-mêmes reprennent plusieurs fois le même ouvrage, pour en offrir une approche plus aboutie, plus riche, …  Et pourtant, à chaque étape, nous estimons qu’ils touchent à la « perfection absolue ». Comme l’expliquait un jour, dans une émission du matin (Première Édition, F.Culture), Yves Angelo, le réalisateur de « Sur le bout des doigts », cette perfection absolue de l’interprétation musicale fait partie de notre quotidien, elle n’est pas un idéal inaccessible.

Nous, les praticiens, nous sommes dans la perfection absolue quand la musique est en adéquation parfaite avec nos émotions, dans le moment de l’exécution. Vous voyez bien, je pense, de quoi je veux parler. Et cette perfection absolue est reconductible, par un chemin long et parfois difficile, dans une recherche permanente. L’idéal est, en outre, l’adéquation avec la création, non seulement à travers ce que le créateur a lui-même apporté, mais dans l’ouverture et l’enrichissement magistral de l’expérience accumulée de nos vies respectives. Là, il n’y a pas de limites. La marche n’atteint jamais le but mais reste toujours une longue marche d’approche.

Trop grand pour moi ?

En paraphrasant Deleuze [dans l’explication qu’il donne du sens de la plainte] : le risque de la musique … c’est que ce soit « trop grand pour moi ». Ce « trop grand » s’applique à la joie – mais aussi à la plainte. L’illustration la plus convaincante se trouve dans l’immensité du chant lyrique, de la voix des grands solistes d’opéra, dont la vibration émotionnelle déchirante bouleverse l’auditeur, jusqu’aux larmes.

La musique

Des idées, des choses à nous dire.

Je suis à la musique ce que le bois est au feu. Pour partager le feu, la bûche le veut tout entier, il le lui faut tout entier.

Jean SUR

Ces vignes où un homme quand il sulfatait, chantait toujours le grégorien de l’église, les vocalises escaladaient les murs, caressaient la pente comme une longue, longue peau sauvage.

Maurice CHAPPAZ, A–Dieu–Vat, p. 47

La manière dont la musique, elle surtout, nous interpelle, nous entraîne bien plus loin que jusqu’aux frontières du verbe — elle va jusqu’à celles de la perception. Les divers sens semblent ne plus suffire à lui donner un asile — ce sont des branches issues du tronc du frêne cosmique.

Ernst JÜNGER, L’auteur et l’écriture, p. 182

« La musique creuse le ciel », écrit Baudelaire. Oui, au double sens où elle recule les limites de l’illimité en même temps qu’elle en explore l’espace.

François DEBLUË, in Conférence n°28

Je ne pense pas qu’à l’époque, âgé de douze ans, j’ai pu deviner ce que j’ai lu bien plus tard, si je ne me trompe, dans l’une des études de Sigmund Freud, et qui me parut tout de suite évident: le mystère le plus intime de la musique est un geste de défense contre la paranoïa, nous faisons de la musique pour ne pas être submergés par les horreurs de la réalité.

W.G.SEBALD, Campo Santo, p. 219