La musique et les arbres

La musique et les arbres écoutent les humains.

Max DORRA, Heidegger, Primo Levi et le sequoia

Erri De Luca rapporte1 ce qu’il a appris de Marina Tsvetaeva : à côté de l’attraction terrestre (la découverte de Newton, la gravitation, …) il y a l’attraction céleste. Il y a des forces qui poussent – aussi – du bas vers le haut. Newton a bien pensé la force qui attire la pomme vers le sol, mais ne dit rien de la force qui a permis à la pomme de se hisser au sommet de l’arbre.

Pour De Luca, la liberté, les grandes migrations, … sont des attractions célestes. Les plus belles figures de ce qui pousse vers le haut : le feu, l’arbre, …

J’avais noté un jour, dans la Mythologie des arbres, de Jacques Brosse:

L’arbre semble le support le plus approprié de toute rêverie cosmique; il est la voie d’une prise de conscience, celle de la vie qui anime l’univers. Devant l’arbre qui conjoint deux infinis opposés, unit deux profondeurs symétriques de sens contraire, l’impénétrable matière souterraine, ténébreuse et l’inaccessible éther lumineux, l’homme se prend à rêver.

La gamme pentatonique

Je suis frappé par cette belle coïncidence, cet extraordinaire raccourci temporel que révèle un épisode du film de Werner Herzog sur la grotte Chauvet: La grotte des rêves perdus – The cave of forgotten dreams, 2011. On voit un archéologue allemand1 jouer d’une flûte en os de vautour, vieille de plusieurs dizaines de milliers d’années. La flûte est précisément accordée sur une gamme pentatonique2. Celle qui est toujours utilisée aujourd’hui, dans les musiques populaires, dans le jazz ou la musique pop. Cette gamme qui, comme le démontre avec humour Bobby McFerrin, est un héritage universel: où qu’il soit, avec n’importe quel public, le jeu fonctionne.3

Voyez plutôt: Bobby Mc Ferrin

Rolling Stones

J’ai dévoré, dans un mouvement de lecture hallucinatoire, le très beau Rolling Stones, une biographie, par François BON (disponible en livre de poche depuis 2004).

La vie que ces gars ont menée, cette folie complète qui entraîne des jeunes à peine sortis de l’adolescence dans la provocation, la drogue, les manoeuvres irresponsables, a quelque chose de terrifiant. On se dit que, effectivement, ils ont manqué de tout: d’éducation, de formation, d’outils de pensée. Cela ne les a pas empêchés d’avoir du génie, mais toute leur vie en est marquée. Alors, ce qui les dépasse, au-delà de toutes les turpitudes, parfois fatales, dans lesquelles ils sont entraînés, ce qui excède le cadre affligeant de leurs vies personnelles, c’est la musique. Même si cette musique se charge des scories de leurs dérives, elle reste et revient avec l’utilisation renouvelée, inventive, extraordinairement moderne, des thèmes du blues du vieux sud américain, qui nous écrasent de nostalgie. La solitude, l’angoisse, la terreur des enfants abandonnés, la crainte et la violence cachée, tout y est. Il y a autant de souffrance dans les stridences des amplis poussés à fond que dans la voix des vieux bluesmen.

Le temps perdu ?

Tu ne le sais pas encore. La musique n’est jamais du temps perdu. Elle est  la perte.

Vincent DIEUTRE, dans ce film étrange et fascinant – touchant aussi, pathétique parfois – qu’il a appelé Mon voyage d’hiver (à la minute 39’20 »). La musique y est magnifique, Schubert, Beethoven, … qui souligne cette errance dans l’hiver d’une Allemagne chargée de souvenirs, ceux du narrateur et ceux de l’Histoire, pesante.