Les nuages de G.M.Hopkins

C’est Annie Dillard qui, à la rubrique Nuages (Au présent, page 119), évoque les descriptions de ciels de Gerard Manley Hopkins. Je me rappelle, en effet, les avoir lues dans son Journal (1866-1875) publié par les éditions William Blake à Bordeaux. Elles sont magnifiquement évocatrices, d’un talent fou. La date précise, parfois au jour près, assortie d’une description aussi fine, est comme un puissant appareil nous projetant tout vivants dans le passé.

En voici quelques-unes.

1866
1er juillet

Tard dans l’après-midi, la lumière et l’ombre étant très violentes, le ciel se recouvrit d’une file de nuages en formes de blocs neigeux, et, au-dessous du soleil, le long de la ligne d’horizon, il y eut une multitude de chaînons contrariés, étincelants et frisottés, noyés d’ombres perlées. Le soleil s’est couché dans un bas-fond gris parsemé de taches et de nuées d’or humide, et l’horizon courbe était pavé de nuages lisses, couleur de plomb évidemment, mais plus ou moins ocrés et roses à leur partie supérieure. Des langues et des rayons entrelacés, combinés avec des boules obliques et floconneuses, s’y faufilaient. Traversant ces nuages-là d’autres nuages roses, comme des enclumes et des formes soufflées, verticales, laineuses toisons à sommet plat, menaçantes.

1870
12 mars

Un beau coucher de soleil : la partie haute du ciel d’un bleu totalement pur traversé en oblique par une large chaussée de nuages en herbe ou poignées d’herbe, poignées allant de gauche à droite, brochant les herbes ; le crépuscule jaune humide, tout moite de lumière, mais faîté d’une écume d’un blanc délicat et perlé, et pastillé de grandes touffes de nuages d’un roux qui oscillait entre le brun et le pourpre, cerné de lumière cuivrée. (…)

1871

Un jour, au début de mars, que de longues banderoles se levaient au-dessus de Kemble End, un large flocon, en forme de boucle, pas une banderole, mais appartenant à leur enfilade, et se déplaçant trop lentement pour qu’on le remarque, semblait coiffer et emplir le zénith d’une longue province de nuages. Je le contemplai longuement si bien que la hauteur et la beauté de la forme – nodosités régulièrement bouclées, érigées s’il m’en souvient, sur de belles tiges, comme le feuilletage du bois ou de la pierre – finirent par s’imposer à moi avec force. Cela changeait, des changements superbes, cela tendait à devenir des côtes, et un lambeau se ramifiait comme du corail.

22 avril

Jamais auparavant je n’avais senti comme aujourd’hui pareille beauté dans le damasquinage du ciel. Le bleu simplement chargé d’intensité, au sommet le zénith, sérieux et fronçant le sourcil, puis devenant, plus bas, toute douceur et légèreté. Là-haut, encore, respirant à travers la mante laineuse des nuages, ou sur les écoinçons et les branches de leurs envols, il virait vraiment au cramoisi ; plus près de la terre (à contre-jour) il était de turquoise : à l’opposé, dans la baie sud-ouest au-dessous du soleil, il était d’huile limpide mais tout aussi riche en couleur, agité de « voyageurs » étincelants et obliques, volant en file indienne, leurs lisières secouées d’effilochures brillantes, comme si l’on envoyait en l’air des napperons blancs, mais pas tous en même temps, de sorte qu’ils égrènent dans l’air une flamme descendante, touchant le sol l’un après l’autre.

Juillet ?

Vers huit heures au coucher du soleil juste en face de la maison, à l’est, le plus gros entassement que l’on puisse encore appeler nuage, qu’il me souvienne d’avoir vu. Isolé par le regard et considéré en soi, il était d’un blanc étincelant, mais sur le fond du ciel d’un bleu dur, intense, il semblait comme enduit d’une lueur chaude et cuivreuse : à l’approche de la terre il s’oblitérait d’ombre rougeâtre.