Gaïa

Le drame, c’est que l’intrusion de Gaïa survient au moment où jamais la figure de l’humain n’a paru si inadaptée pour la prendre en compte. Alors qu’il faudrait avoir autant de définitions de l’humanité qu’il y a d’appartenances au monde, c’est le moment même où l’on a enfin réussi à universaliser sur toute la surface de la Terre le même humanoïde économisateur et calculateur. Sous le nom de globalisation ou de mondialisation, la culture de cet étrange OGM – de son nom latin Homo œconomicus – s’est répandue partout… Juste au moment où l’on a un cruel besoin d’autres formes d’homodiversité ! Pas de chance vraiment: il faut affronter le monde avec un humain réduit à un tout petit nombre de compétences intellectuelles, doté d’un cerveau capable de faire de simples calculs de capitalisation et de consommation, auquel on attribue un tout petit nombre de désirs et que l’on est enfin parvenu à convaincre de se prendre vraiment pour un individu, au sens atomique du mot. Au moment même où il faudrait refaire de la politique, on n’a plus à notre disposition que les pathétiques ressources du « management » et de la « gouvernance ». Jamais une définition plus provinciale de l’humanité n’a été transformée en un standard universel de comportement. (…)

Bruno LATOUR, Gaïa, figure (enfin profane) de la Nature, 3e des Huit conférences sur le nouveau régime climatique, p. 143

Faire groupe

La rencontre offre la possibilité de faire groupe. La rencontre, non pas comprise comme la constitution d’une grégarité indéterminée, floue1, mais celle de la confiance partagée. Voyez à ce sujet la petite note sur la proposition d’Isabelle Stengers, de faire confiance, plutôt qu’avoir confiance. Dans la pratique artistique collective, la combinaison des individualités et du collectif, même dans la confrontation, est essentielle.

Ernst JÜNGER2 illustre ceci encore d’une autre manière:

Si je plante trois arbres tout près l’un de l’autre, dans une prairie, ils ne constitueront pas seulement un groupe, mais entreront aussi en relations réciproques. Ils laisseront dégénérer celles de leurs branches qui se tournent vers l’intérieur; vers le dehors, elles croîtront tant qu’elles retomberont jusqu’à terre.

La confiance

C'est Isabelle STENGERS [La sorcellerie capitaliste, p.159] qui propose d'opérer une distinction entre "avoir confiance" - qui est de l'ordre de l'enthousiasme fusionnel - et "faire confiance", non en l'autre mais dans la relation possible. Cette différence me paraît intéressante à développer dans les relations à l'autre (dans la diversité), dans la mise en commun, ou en responsabilité partagée, en économie solidaire mais aussi dans le travail musical

Dans notre pratique amateur collective, nous sommes sans cesse sollicités pour renouveler cette confiance, qui crée la possibilité de l'accord- musical et humain, dans une pratique qui nous voit émotionnellement particulièrement exposés.