La minute précaire

– Au fait, comment cela s’appelle-t-il quand deux êtres se rencontrent, qu’aussitôt leurs paroles s’entendent à demi-mot, leurs pensées et leurs goûts s’accordent à mi-chemin, et qu’entre eux semble passer un intense courant de sympathie, minute heureuse, mais précaire et suspendue, un peu « hors sol », peut-être illusoire, et bientôt enfuie ?
– Cela porte un très beau nom, dirait sans doute le Mendiant d’ Électre: cela s’appelle un déjeuner de soleil.

Gérard GENETTE, Apostille

Action – représentation

Quelque part, Günther Anders met en garde contre la menace que constitue, pour une société donnée, l’écart se creusant et touchant parfois au gouffre, entre ses moyens d’action (toujours — fatalement ? — plus grand et nombreux) et ses moyens de représentation (toujours — forcément ? — bornés et réduits, en retard) et qui consiste grossièrement à ne plus voir, savoir, ce qu’elle fait, à se complaire dans l’innocence sauvage de ne savoir pas.

Jean-Luc FONGERAY, Le Différend, in Compagnies de P.Bergounioux

Résistance

   À une époque où chacun se voit sommé de réussir et d’être performant, peut-être n’a-t-on jamais autant parlé de mal-être et de souffrance sociale. Naguère, les individus se regroupaient sans doute plus spontanément de façon collective pour combattre l' »oppression » ou l' »exploitation » ; ils inscrivaient leur souffrance dans une communauté humaine. Aujourd’hui, beaucoup de nos contemporains consultent, individuellement, le corps médical ou des psychologues. Les plus fragilisés par les logiques économiques actuelles et la pression sociale éprouvent un surcroît de tension. Ils ne trouvent plus d’espaces de reconnaissance et souffrent de voir sur l’écran de télévision l’argent s’étaler, les richesses déborder ; alors que leur quotidien devient de plus en plus précaire.

Une culture du ressentiment se développe. Elle fragilise nos démocraties. Comment permettre, alors, à chacun de trouver sa place ? Comme retrouver le sens du mot « société » ? De quelle manière agir face à l’inquiétante montée des inégalités sociales ? Qu’est-ce qui peut nous faire passer d’une solitude habitée par la crainte d’autrui à la solidarité active et non-violente ? Comment résister à la tentation « sécuritaire » tout en se sentant en « sécurité » ? En électronique, la résistance est un conducteur dans lequel toute l’énergie électrique est transformée en chaleur. Transposée dans le domaine social, la résistance doit être comprise, dans ce livre, comme l’énergie sociale qui se manifeste, en puissance ou en acte, sous la forme d’une solidarité joyeuse et d’une espérance vécue. Face à la froideur des logiques d’exclusion et des courses au profit, la résistance met en mouvement des forces, parfois insoupçonnées, en stimulant la production de chaleur humaine. Il convient alors, plus que jamais, de l’organiser.

Fred POCHÉ, Organiser la résistance sociale, 2005

Je note, pour moi, sur un coin de table, et je souligne que la capacité d’indignation est sans doute, aussi, un puissant facteur de résistance.

L’usage du bonheur

Jean GIONO, dans Les terrasses de l’île d’Elbe1 donne une merveilleuse petite introduction à cette responsabilité du « bonheur des générations futures » !

On comprend alors que le seul moyen de faire le bonheur des générations futures c’est de faire le bonheur de la génération présente. (…) surtout parce que l’usage du bonheur donne des habitudes, crée des tempéraments, produits certaines modifications dans les passions (…).

J’aime beaucoup cette formule, qui est tout lui: « l’usage du bonheur donne des habitudes ».