Le Shaman

Voyez ce très beau film d’Arthur LAMOTHE sur les Indiens Montagnais [Mémoire battante, 3e partie, 1992].

La « traductrice » montagnaise explique le sens du mot montagnais qui est traduit par « shaman, sorcier, … ». Elle dit que ces mots n’ont aucun rapport avec le sens du mot original. Celui-ci utilise un terme qu’on pourrait employer pour dire: « je suis imprégné d’humidité ». Le mot montagnais qui désigne le shaman, le sorcier, l’homme qui assure les rites – et notamment le fameux rite de la tente tremblante, pourrait se traduire par : imprégné de l’esprit.

Je note : les artistes seraient-ils des shamans ?  D’une certaine façon, cela paraît évident, à voir comment ils sont imprégnés de l’esprit et nous rendent clair ce qui restait caché à notre intelligence pragmatique, aveugle, …

La forme

Pour compléter la réflexion entamée sur la forme – la surface et la profondeur:

Mies van der Rohe, architecte, octogénaire. A construit la maison Seagram ; je l’ai vue à New York en 1958, juste après son achèvement. « Ce n’est pas la forme qui est le but de notre labeur, mais bien son résultat. » Soit, mais le labeur, même celui de l’artiste, n’est jamais comme la main d’un intermédiaire. L’harmonie intérieure est, par sa médiation, extériorisée. Angelus Silesius : Tu n’es pas dans le lieu, car le lieu est en toi. Chasse-le, et aussitôt l’éternité survient. (…)

Ernst JÜNGER [Soixante-dix s’efface I – Journal 1965-1970, à Willflingen, le 16 juin 1966]

La surface et la profondeur – suite 2 ou Le formalisme

En écoutant la conversation tranquille 1 entre Pierre Michon, François Bon, Pascal Quignard et Jean Echenoz, je note que celui-ci dit accorder beaucoup d’importance à la forme. Pour ma part, je suis convaincu que la forme 2 est essentielle dans l’expression artistique, elle en est la substance même. Ma répugnance vis-à-vis de l’art conceptuel – d’un certain art conceptuel – doit aussi venir de là: quand l’idée est géniale mais que la forme est mauvaise, comment peut-on jouir d’une œuvre d’art ? Jouir de l’idée, sans doute; mais c’est une jouissance intellectuelle, que je trouve sèche et stérile, que je conçois comme une forme d’imposture. La jouissance artistique est tout autre: elle est physique, ébouriffante, irrésistible, …

Dans la pratique musicale – qu’elle soit amateur n’y change rien, le respect de la forme est premier. La musique est d’abord et intégralement une forme. Aucun art n’est autant inscrit dans sa forme. L’espace de liberté de l’interprète s’inscrit dans le respect absolu de la forme ou plutôt, devrais-je dire, dans la réalisation d’une forme parfaite, aussi parfaite que possible. Dont la perfection se mesure dans la capacité à éveiller, élargir, étendre l’émotion, à déployer la force d’attraction de l’écoute, à développer la capacité d’écoute partagée, une écoute sereine, plutôt qu’une écoute inquiète de sa propre voix. Je suis convaincu que la maturité assume parfaitement le formalisme (des règles, des formes formalisées). L’immaturité le refuse, non pas contre la forme en tant que telle, mais dans le besoin irrépressible de s’affirmer contre toute forme, quelle qu’elle soit.

La surface et la profondeur – suite

De la même façon, voici ce que Pierre ARDITI expliquait sur France Culture [Les Fausses Confidences, Tout arrive, 9 mars 2010]:

Il faut que le texte soit clair, évident pour soi-même, pour qu’il puisse le devenir pour les autres. Quelle clarté, cette évidence partagée, à partir du moment où l’analyse, la compréhension est faite pour soi ! Interpréter, c’est d’abord comprendre; comprendre pour soi, en profondeur.

Le travail « en surface » du texte, ce toilettage nécessaire pour gagner l’évidence pour soi-même, avant que de la partager, voilà qui fait écho à Antoine Emaz.

En plus, à nouveau, les analogies entre le travail de l’acteur et celui du musicien: la compréhension du « texte », l’appréhension, l’appropriation personnelle, d’une seule page comme de la partition musicale entière. L’œil qui perçoit et capte, avant la mise en bouche…