Accompagner

Claude LEFORT, dans une conférence qu’il a donnée le 17 novembre 2007, rappelle: dans toute démarche herméneutique, dans tout travail d’interprétation (d’un texte, d’un programme, d’une injonction,…), nous devons renoncer au projet de maîtriser le texte mais plutôt choisir l’accompagnement de sa signification. Il nous faut accompagner le sens et non vouloir le maîtriser.

Par analogie, je travaille sur ce geste d’interprétation: accompagner la ligne musicale et non pas vouloir en prendre possession. Physiquement, il est très important de figurer le geste de l’accompagnement, quand le bras s’arrondit pour laisser le passage, ou quand le bras s’offre pour accorder le pas, … etc.
Constamment , je reprends ce travail de l’accompagnement : ne prenez pas votre voix en otage, ne cherchez pas à maîtriser le son ou la musique, mais ayez simplement ce geste d’accueil, de soutien, … La sonorité de l’ensemble en est transformée. Mais – en répétition, et souvent ! – il faut absolument le geste.

Le lyrisme

Je découvre avec plaisir ces quelques lignes, qui tentent une définition du lyrisme, appliqué à l’écriture romanesque ou à l’écriture théâtrale, mais que je trouve tout à fait pertinente pour approfondir notre réflexion sur cette « voix lyrique » que je demande aux chanteurs de travailler.  Quelle coïncidence,  mais pas étonnante finalement, d’y trouver des références au souffle et à la voix.

Le lyrisme.
Non pas les épanchement sirupeux du moi, mais ce composé d’éléments divers qui permet d’identifier une forme sans constituer pour autant un concept, et qui comprendrait entre autres et sans hiérarchie: la mise en scène de l’émotion (le texte lyrique est un texte ému, un texte qui transporte); la prédominance de la voix (l’oralité, la mise en bouche de la langue, la présence du corps pulsionnel; mais aussi la langue orale, familière; mais aussi l’oratoire, le déploiement de la voix dans la durée, et donc le souffle); la célébration admirative; l’organisation du temps par un rythme sensible (et donc la scansion par reprises: litanies, anaphores, ressassements, condensés métaphoriques récurrents). (…)

[Jean-Paul Goux, in Revue L’Animal, n°16 – printemps 2004, consacré à François Bon, p.167]

J-P.Goux ajoute plus loin une citation de Rilke: Le lyrisme tend à « la transmutation intégrale du monde en splendeur ».

C’est exactement ça… Beau programme pour une pratique musicale, non ?

A l’intérieur ?

Dans Voix off, Denis Podalydès évoque notamment la voix de Jean-Pierre Vincent (au Conservatoire de Paris en 1988). Il fait travailler les jeunes comédiens, avec une rigueur que Podalydès transcrit bien, dans une écriture hachée:

Il reprend la pièce entière, commente, argumente, alimente, sédimente, décèle l’impensé, chasse le préjugé, lutte contre le jeu en général, ce qui lui apparaît comme le comble de la convention bêtifiante: jouer en dehors de l’histoire, de la grande et de la petite histoire, dans une immobilité, une éternité sentimentale où seraient une fois pour toutes fixés les expressions, les émotions, les effets. Bercés dans et par cette illusion, nous nous croyons, nous sentons vraiment nous-mêmes, purs et sincères, délicieusement naïfs, fidèles à notre nostalgie d’enfance, nous nous laissons aller, rêvons, faisons semblant, ne voyons pas que nous sommes artificiels, vides, morts.

Un peu plus loin, c’est une belle leçon de théâtre, mais de ces leçons que tout musicien peut prendre: elle est paradoxale, apparemment; parce que nous n’arrêtons pas de penser, de croire et de tenter de faire croire, que c’est bien en nous, au plus profond, à l’intérieur, que se cache ce qui fait sens, ce qui donne chair à nos émotions, ce que nous avons donc de plus intime et de meilleur à partager.

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