L’excellence

La question de l’excellence, dans un projet artistique, se pose dès l’abord. Elle fait peur aux amateurs, et pourtant – j’ai l’occasion d’y revenir par ailleurs, notamment dans Une perfection absolue – elle ne cesse pas d’être d’actualité.

Mais que veut dire une pratique d’excellence ?

Elle se fonde sur une double mesure, une double appréciation.

D’un côté, une appréciation objective – un regard, une écoute, extérieurs. C’est donc une mesure qui se réfère à d’autres pratiques, qui les compare entre elles, sur l’échelle de l’existant, mais dont les critères sont extraordinairement variables. Dans la discipline qui nous occupe – la pratique vocale – c’est à la fois, ou distinctement, la qualité et l’originalité du répertoire, la façon de se présenter en chœur, la vocalité, la liberté du souffle, la sonorité, la cohérence, mais aussi la clarté, l’ouverture, la sensibilité de l’interprétation, la force de conviction, …

D’un autre côté, une mesure subjective: comment je me situe moi-même dans ma pratique, à quel niveau je m’y place. En d’autres termes: quelle place est-ce que je lui accorde ? Cette appréciation est dynamique: c’est aussi une ambition, elle se nomme, se détermine comme une ambition. Mais je ne parlerai pas ici de « progrès », le terme me semble nous renvoyer à une échelle objective. L’ambition individuelle s’inscrit plutôt comme un mouvement, et un mouvement de l’intime.

Je considère que l’excellence se situe d’abord dans ce mouvement. Il est à la portée de tous, mais … , à l’instar du moine-voyageur, Bashô – dans Le chemin étroit vers les contrées du Nord, p. 50:

(…) je me disais qu’en toute chose l’excellence est le fruit d’efforts auxquels l’homme ordinaire ne consent pas.

Esquisse d’une esquisse du monde

Un homme devait réaliser l’œuvre de sa vie, une œuvre qui se dressât là comme une maison. Il commença par élever un échafaudage. Pour réaliser l’échafaudage, il lui fallut de nouveaux préparatifs et d’autres échafaudages. Nombre de ces préparatifs et de ces autres échafaudages exigèrent à leur tour de longues rétrogressions, des constructions de toutes sortes, des efforts astreignants. Des efforts qui dévoraient des journées, tandis que le temps passait. Le temps passait ; déjà l’on voyait la mort de plus en plus proche, et l’œuvre encore lointaine. Oui, maintenant, l’homme était plus loin de l’échafaudage de l’œuvre qu’il ne l’avait été d’abord de l’œuvre même… Alors qu’il avait passé sa vie en efforts incessants. La mort approchait, le temps pressait. C’est alors que l’homme trouva, sans s’en douter, ou s’en doutant à peine, un mot ; peut-être même le mot s’énonça-t-il tout seul ; et à partir des chemins que l’homme avait suivis, d’elle-même, l’œuvre se fit. Était-ce une maison ? Certains, plus tard, l’appelèrent une maison. Il n’y eut jamais d’autres maisons.

Ludwig HOHL, Chemin de nuit, p.79-80