Si nous le voulons

Nous serons un peuple, si nous le voulons, lorsque nous saurons que nous ne sommes pas des anges et que le mal n’est pas l’apanage des autres.

Nous serons un peuple lorsque nous ne dirons pas une prière d’actions de grâce à la patrie sacrée chaque fois que le pauvre aura trouvé de quoi diner.

Nous serons un peuple lorsque nous insulterons le sultan et le chambellan du sultan, sans être jugés.

Nous serons un peuple lorsque le poète pourra faire une description érotique du ventre de la danseuse.

Nous serons un peuple lorsque nous oublierons ce que nous dit la tribu…, que l’individu s’attachera aux petits détails.

Nous serons un peuple lorsque l’écrivain regardera les étoiles sans dire : notre patrie est encore plus élevée…et plus belle !

Nous serons un peuple lorsque la police des mœurs protègera la prostituée et la femme adultère contre les bastonnades dans les rues.

Nous serons un peuple lorsque le Palestinien ne se souviendra de son drapeau que sur les stades, dans les concours de beauté et lors des commémorations de la Nakba. Seulement.

Nous serons un peuple lorsque le chanteur sera autorisé à psalmodier un verset de la Sourate du Rahmân dans un mariage mixte.

Nous serons un peuple lorsque nous respecterons la justesse et que nous respecterons l’erreur.

Mahmoud DARWICH
© Actes Sud, traduit par Elias Sanbar.

Une invitation au débat

Je te dirai en conscience
comment se fait notre pensée,
comment naissent les racines des conversations,
comment les mots volent d’un interlocuteur à l’autre.
Pour cela il faut rester un certain temps sans rien dire
en essayant de saisir ne serait-ce qu’une petite étoile,
pour qu’il y ait, pour ainsi dire, de quoi se dérouiller le cou,
le tourner vers des amis charmants ou des interlocuteurs inconnus.

Danill Charms, traduit et cité par André Markowicz, Partages II

Coexistence

Partons de la notion de « réforme », définie comme une amélioration partielle et progressive dans le domaine moral ou social, opposée à « révolution ». Amélioration pour qui ? Pour l’ensemble de la société, elle concerne l’intérêt commun, et, dans ce cas, ne peut être que pro-posée, c’est-à-dire présentée préalablement au regard, enjeu public, débattue par des intérêts pluriels, éventuellement conflictuels, visant néanmoins un accord. Par lui, la part des uns, la part des autres est censée trouver son compte, autrement dit une négociation bénéficiant à tous. Cette négociation suppose des concessions, une forme de lâcher-prise permettant un compromis, une conciliation. Insistance ici d’un cum qui marque et la procédure, se mettre ensemble, et la visée, une politique de coexistence permettant à chacun les moyens d’une existence et de son projet. Ce cum témoigne d’une vigilance à ne pas léser certains, remettant alors en exergue la parole de Solon à l’aube de la démocratie : « un tort fait à l’un nous concerne tous ». 1

Extrait d’un passionnant article de Elisabeth Godfrid: Des inventeurs pour une coexistence. Réformes et lâcher-prise, sur le site EspacesTemps. A lire entièrement, évidemment.

Solidaires

Jean-Marie PELT, botaniste et écologiste de renommée internationale, souligne1 la différence d’interprétation entre Max Weber (le meilleur, celui qui gagne, serait le plus méritant, preuve qu’il est béni des dieux – de Dieu) et Kropotkine, anarchiste russe, géographe, géologue et naturaliste, qui a étudié les mécanismes d’entraide dans la nature. Pour Kropotkine2, les individus les mieux adaptés ne sont pas les plus agressifs mais les plus solidaires. L’aide réciproque est l’arme la plus puissante dans la lutte pour l’existence contre les forces hostiles, la nature et les espèces ennemies, mais aussi le facteur le plus important du développement progressif.

Bien sûr, il y a, entre les deux hommes, un profond écart de culture politique. Mais je pense que la crise que nous vivons aujourd’hui – double crise de notre relation aux autres et à la nature, donne profondément raison à l’interprétation de Kropotkine.