La littérature essentielle

Si la culture, et plus spécialement la littérature, n’est jamais que le commentaire réfléchi, approché, perçant, resplendissant de la vie, ou bien elle prend acte de ce que celle-ci est entachée, entre autres choses, de répugnantes disparités ou alors elle l’oublie. Mais si elle l’oublie ou le méconnaît ou le dénie, elle ne vaut pas une minute de peine. Ou elle conserve ce que je regarde comme sa vertu essentielle, qui est révélatrice donc libératrice, et alors elle mérite que nous lui consacrions le meilleur de nos soins, de nos peines, de nos veilles. Ou elle est un divertissement, même de qualité, même agréable, auquel on sacrifie un instant avant de s’en retourner intact, inchangé, indifférent aux affaires courantes, et alors elle peut bien périr sans que je lève le petit doigt. Là est la question.

Pierre Bergounioux, Exister par deux fois, p.131-132