Le progrès

afghanistan1En 1939, Ella MAILLART visite l’Afghanistan1. Elle découvre, dans une vallée, une filature construite par des ingénieurs allemands2.

Elle écrit à ce sujet: Essayant d’analyser ce que j’avais éprouvé en découvrant cette filature cachée au cœur de l’Hindou Kouch, je demandai aux Allemands si cela ne les inquiétait pas de penser à la misère que cette grande construction avait déjà causée dans la vallée. Les acquisitions techniques de notre civilisation ne sont-elles pas une malédiction lorsqu’elles arrachent les Afghans à leur milieu et les plongent trop brusquement dans une vie qui n’a pas été faite pour eux ? Mais ces ingénieurs n’étaient pas disposés à reconnaître que leur centrale électrique déracinait la vie des indigènes. Naturellement, ils mentionnèrent le Progrès, notre dieu émacié qui profite des guerres. C’était leur travail de construire, et tant qu’ils construisaient, ils étaient contents. Heureux ceux qui ont la vue courte et ne voient pas plus loin que ce qu’ils peuvent toucher !

Et, un peu plus loin, elle cite Dr J.H.Oldham3: Nous devrions être sérieusement inquiets de voir que c’est le côté matériel et sordide de la civilisation occidentale qui exerce un effet si révolutionnaire et si puissant sur le reste du monde.

Il est à peine surprenant de constater que rien n’a changé, sinon que nous nous dirigeons probablement vers un désastre quasi inévitable. Maurice CHAPPAZ a toujours eu une vision assez cruelle mais précise, du risque brutal de la bascule vers la destruction: Une autre guerre commence et elle bat son plein peut-être maintenant. C’est-à-dire qu’on rentre dans une société civile conquérante, galopante, rasante avec une autre course qui s’appelle le progrès, qui peut être aussi dévastatrice que la guerre et avec un art du piège supérieur parce qu’elle peut tout détruire et elle peut tout détruire d’une façon très sournoise et tout d’un coup.4

  1. Voir La voie cruelle
  2. Il est intéressant de noter qu’aujourd’hui les Américains ont remplacé, dans cette région comme dans beaucoup d’autres, les Allemands, dont l’ambition d’alors était la conquête (militaire, aussi) du monde, la suprématie absolue. Nous étions en 1939. L’analogie est frappante, tout au long de la description de cet Afghanistan qui a été, depuis, ruiné par tant de guerres. Les mêmes conflits s’y maintiennent aujourd’hui.
  3. Christian New Letters
  4. A-Dieu-Vat, La fin des temps, p.61