Le corps au travail

Il y a une musique dans le corps humain comme dans le corps des animaux. Il y a une musique, je l’ai reconnue dans mon corps pendant ma vie d’ouvrier, les années de travail vendu: dans la journée, quand le corps était entièrement soumis au travail, la répétition des mêmes gestes finissait par prendre un rythme musical et le corps était mieux à même de soutenir l’effort s’il avait ce rythme musical en lui. Et quand on en prend conscience, on se met à chanter, non pas pour exprimer sa joie ou parce qu’on est heureux, mais parce que le corps a besoin de ce rythme qui le fait monter à la surface. Finalement la tête s’en aperçoit et commence à chanter dans le rythme que le corps lui suggère. Il y a une partition musicale que déploie le corps au travail.

Erri De Luca, entretien avec Laure Adler, in L’entretien n°2.

Improvisation

En travaillant avec Martha Rodezno.

Elle nous rappelle « la main » de l’improvisation, à entendre comme les 5 doigts [5 éléments, à nouveau ?] de cette main:

  • le mouvement
  • la respiration
  • le son
  • l’imagination
  • la communication

Tout marche ensemble, et rien n’a lieu véritablement s’il manque un des cinq. C’est l’improvisation du danseur, du chanteur, du musicien, …

Elle utilise cette image intéressante: il ne suffit pas de mettre les ingrédients dans la marmite, il faut aussi du feu sous la marmite, pour que « ça prenne ». En d’autres termes, il est indispensable de générer une action, de donner de l’énergie pour que quelque chose se passe. Le lâcher-prise, oui, mais pas au détriment de l’engagement énergétique, de l’investissement dans l’action. Et cet engagement est corporel, physique. Si l’improvisation a besoin d’une forme de lâcher-prise (ou comment oser …), il ne fonctionne pas dans la pure écoute passive, mais dans cette « réciprocité actuante » où chaque danseur, acteur, musicien improvisateur est actif, à un niveau d’énergie suffisant pour être présent à soi et présent à l’autre.

Et la qualité du rapport à soi, authentiquement – mais comment l’évaluer, comme la mesurer ? – c’est surtout l’engagement, le choix délibéré de ne pas priver l’autre de soi-même.

L’expressivité du sensible III

Après L’expressivité du sensible I et II, voici la première et courte présentation du travail que nous proposons aujourd’hui, Thierry Heynderickx et moi, aux chanteurs, chefs de chœur et ensembles constitués. C’est une première approche, un chantier que nous souhaitons développer, dans la ligne de ce que j’ai explicité dans les deux premiers posts.

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Inventer de nouveaux récits

Par analogie avec le travail des chercheurs et des philosophes (voir à ce sujet le très riche ouvrage dirigé par Emilie Hache, De l’univers clos au monde infini), je note que les artistes sont dans la nécessité d’inventer aujourd’hui de nouveaux récits. C’est aussi la découverte que j’ai renouvelée récemment en travaillant avec Th.Heynderickx et Martha Rodezno.

Les mots d’Emilie Hache font sens pour un musicien, pour un danseur:

Quels mythes font aujourd’hui tenir le monde face à la possibilité de son démembrement ? (…) Il faut renouveler nos modes de perception, notre sensibilité; pouvoir répondre à ce qui est en train de nous arriver.

Le récit, comme puissance d’affecter et de transformer. [je souligne]
Les récits nous font littéralement tenir debout.

(…) il importe de dramatiser ce changement d’une façon qui tienne compte du passé, c’est-à-dire des situations existantes de destruction et de perte… [par analogie encore, le bouleversement de la dramatisation fondée sur notre imaginaire et sur les impulsions du corps en mouvement].

(…) il faut multiplier les zones de contact avec d’autres manières de sentir et de penser. [précisément, dans la pratique artistique, ce n’est pas métaphorique. Le fait que ce ne le soit pas, est essentiel]

(…) ce qui se fait défie toute appropriation.