Tatami

L’agrément qu’il y a à dormir sur le tatami, c’est d’avoir ainsi le dos collé au sol, de faire corps avec la terre et — quand le calme et le silence de la nuit le permettent — de sentir et de partager la vaste rotation dans laquelle elle vous entraîne. Les couvertures tirées jusqu’au menton, les mains à plat le long du corps on fend l’espace comme un boulet chauffé au rouge. On pense aux autres corps célestes, aux orbites qui s’infléchissent et qui divergent, aux attractions, aux répulsions, aux lentes figures qui se tracent à des vitesses inconcevables.

Nicolas BOUVIER, Le vide et le plein

L’agitation

L’espace : le développement des voyages témoigne de l’importance extrême qui lui est accordée. On aurait pu penser, naïvement, que les intenses flux électroniques engendrés par les « nouvelles technologies de l’information et de la communication » entre les êtres humains allaient, au moins en partie, se substituer aux flux des corps. Et certains de se réjouir par avance de cette évolution, combinant l’extension des échanges avec une baisse de la dépense entropique. La réalité est toute différente : les flux d’informations et de personnes augmentent conjointement. L’agitation est considérable.

Olivier REY, Quelle vie, quel voyage, avec qui ?1, in Conférence n°22, p. 16

La pensée cosmologique des anciens Mexicains

La pensée cosmologique mexicaine ne distingue pas radicalement l’espace et le temps; elle se refuse surtout à concevoir l’espace comme un milieu neutre et homogène, indépendant du déroulement de la durée. Elle se meut dans des milieux hétérogènes et singuliers, dont les caractéristiques particulières se succèdent selon un rythme déterminé d’une manière cyclique. Il n’y a pas pour elle un espace et un temps, mais des espaces-temps où les phénomènes naturels et les actes humains sont plongés, s’imprégnant des qualités propres à chaque lieu et à chaque instant. Chaque « lieu-instant », complexe de sites et d’événements, détermine d’une façon irrésistible et prévisible tout ce qui s’y trouve placé.

Les plis du temps, p. 39 – Citation de J.Soustelle, La pensée cosmologique des anciens mexicains, 1940

Un espace respiré

Décidément, Jean-Christophe BAILLY est passionnant, quel que soit le domaine sur lequel il travaille. Notamment le théâtre, qu’il connaît bien. Je pêche ces quelques lignes dans le petit ouvrage qu’il a consacré à l’adaptation de Phèdre de Racine en hindi, lors d’un séjour indien durant l’hiver 1989-1990 (Phèdre en Inde).

Dans ce livre, je note (p. 83) la différence d’approche entre le geste du metteur en scène européen – qui pose des marques sur le sol de la scène, ce qui est perçu par les Indiens comme une incongruité – et une autre vision – celle qui « se passe de cette géométrie » (perçue comme une désagréable appropriation). J.-C.Bailly la traduit en ces termes: L’énergie virtuelle du plan de sol se confronte à un espace respiré plutôt que dessiné.1

Intéressante remarque, qu’il s’agirait de mettre en œuvre dans le travail théâtral et, par extension, dans la création de l’espace musical dans l’exécution publique.