Gaïa

Le drame, c’est que l’intrusion de Gaïa survient au moment où jamais la figure de l’humain n’a paru si inadaptée pour la prendre en compte. Alors qu’il faudrait avoir autant de définitions de l’humanité qu’il y a d’appartenances au monde, c’est le moment même où l’on a enfin réussi à universaliser sur toute la surface de la Terre le même humanoïde économisateur et calculateur. Sous le nom de globalisation ou de mondialisation, la culture de cet étrange OGM – de son nom latin Homo œconomicus – s’est répandue partout… Juste au moment où l’on a un cruel besoin d’autres formes d’homodiversité ! Pas de chance vraiment: il faut affronter le monde avec un humain réduit à un tout petit nombre de compétences intellectuelles, doté d’un cerveau capable de faire de simples calculs de capitalisation et de consommation, auquel on attribue un tout petit nombre de désirs et que l’on est enfin parvenu à convaincre de se prendre vraiment pour un individu, au sens atomique du mot. Au moment même où il faudrait refaire de la politique, on n’a plus à notre disposition que les pathétiques ressources du « management » et de la « gouvernance ». Jamais une définition plus provinciale de l’humanité n’a été transformée en un standard universel de comportement. (…)

Bruno LATOUR, Gaïa, figure (enfin profane) de la Nature, 3e des Huit conférences sur le nouveau régime climatique, p. 143

L’écriture arabe

En arabe, nous apprend Jacques Berque, les noms des deux becs de la plume signifient l’humain et le bestial.

Il continue :

Il faudrait savoir lequel des deux est le flanc animal. Je crois que c’est le gauche… Il faudrait savoir si ça correspond au côté par lequel on monte sur le cheval. Pour les Arabes c’est le côté droit. Nous, nous montons à gauche de la bête. Le côté « bestial » pour la vieille poésie arabe, je gage que c’est celui par lequel on ne monte pas, donc, pour les Arabes, le gauche est justement celui par lequel, nous, nous sautons en selle. Il y a donc le côté humain, par lequel le cheval se tourne vers le cavalier qui l’enfourche en sautant de ce côté-là, et le gauche qui reste indompté. Or observez que c’est également de droite à gauche que va l’écriture arabe, comme par hasard…

Jacques BERQUE, Les Arabes, l’Islam et nous, p.41