Paul Celan

Depuis de nombreuses années, je lis – par intervalles, parfois très longs -, la poésie de Paul Celan, dans des éditions bilingues, texte allemand et français en « juxta », comme on disait. Dans le deuxième volume de Partages, André Markowicz dit si justement cette impuissance à franchir la barrière de la traduction.

Il y a trois poètes allemands qui m’accompagnent, toute la vie. Hölderlin, Rilke et Celan. Je ne peux en lire aucun. Je ne peux, pour chacun d’eux, que tâtonner autour des ombres que sont les traductions, en essayant de deviner l’immensité – pas deviner l’immensité, parce qu’elle est évidente. Non, deviner les détails, les preuves. Deviner les illuminations que contiennent tous les textes que je lis d’eux. (…)

Je ne comprends que par bribes la façon dont Celan peut casser la langue allemande, mais je comprends que, s’il est possible, lui, c’est qu’il est dans la langue allemande, – devrais-je dire qu’il est, après-guerre, la langue allemande en tant que telle, exsangue, noir-jaune, et fulgurante de toute sa douleur accumulée ?

Agir par la poésie

J’ai été un militant politique et syndical actif. Sans renier mes convictions, j’ai choisi ensuite d’agir dans et par la poésie. Parce que j’ai foi en la poésie, en sa capacité à hausser les consciences, et que je crois comme Giuseppe Conte que « la poésie est la première forme de résistance spirituelle ». Parce qu’elle subvertit la langue commune et les représentations molles de la réalité, elle est une objection fondamentale à l’affaiblissement des consciences. Non pas tant en raison de ce qu’elle dit, mais de ce qu’elle est.

Jean-Pierre SIMEON, Un art du partage

Le hasard

L’œuvre littéraire est une de ces menues portions en quoi l’existant se cristallise, prend forme, acquiert un sens qui n’est nullement figé, ni définitif, ni raidi dans une immobilité minérale, mais aussi vivant qu’un organisme. La poésie est la grande ennemie du hasard, bien qu’elle-même fille du hasard, et consciente qu’en dernière instance il gagnera la partie.

Italo CALVINO, Leçons américaines, p.116