Destructions cosmiques

La terre serait-elle, pour finir, la seule habitée de toutes ces étoiles sans nombre ? Alors, un jour, au moment du partage de la succession, peut-être chacun de nous hériterait-il d’une de ces nébuleuses qui unissent en elles cinquante millions de soleils. Et pourquoi pas ? Après tout, elles ne sont que comme une tête d’épingle dans notre cerveau. Lorsqu’il pourrit dans la terre, il est semblable à des fermentations de paille humide, qui produit des voies lactées aux rubans verdâtres, des comètes arquées et des soleils tournoyants. Toutes ces choses sont des rêves de l’absolu, et les dimensions ne sont qu’illusoires. (…)

Ernst JÜNGER, Graffiti, p. 88

Approches

Comment la vie prépare à des choses qu’on ne réalisera jamais de toute la vie. C’est la chasse à l’impossible. Les organes s’y affinent, l’instrument s’y perfectionne d’une manière adaptée à des buts plus hauts. Les œuvres et les actes tombent de nous comme des pétales. Ils s’envolent avec le temps, pareils à des songes, mais ce qu’ils nous ont permis de saisir dans l’absolu devient alors visible dans le renflement du pistil.
La « vision » est semblable à un compas, à une équerre, que nous appliquons à la réalité et qui nous sert à la mesurer. A mesure que la vie s’écoule, la mesure devrait s’allonger, l’angle s’élargir. Lorsqu’il atteint cent quatre-vingt degrés, la droite, la station verticale est réalisée en esprit. En même temps, nous outrepassons l’angle qui peut encore permettre de mesurer les choses de la terre. En morale, aussi, les différences s’abolissent. La lumière et l’ombre deviennent jeux de la substance. Par quoi la vie terrestre serait accomplie, et gagné le point d’où l’on peut risquer le passage vers l’incommensurable.

Ernst JÜNGER, Graffiti, p. 131

Le point d’appui

« On dit que vous n’avez pas de points de vue ? »

« J’estime qu’un point d’appui a plus d’importance. »

« Et on vous reproche de ne pas indiquer de chemin à la jeunesse. »

« Ne me considérez pas comme un poteau indicateur, mais comme une carte de géographie. Ce qui complique ma tâche, et celle des autres. Mais cela nous mènera plus loin. Au reste, nous ne souffrons pas d’un manque, mais d’un excès de poteaux indicateurs. »

Ernst JÜNGER, Graffiti, p.144

Léger et lourd

Tu t’es allégé ? Peux-tu déjà pénétrer dans le granit, le fer rouge, dans ton propre cadavre ?
Léger et lourd sont, comme l’ombre et la lumière, deux qualités d’un tiers principe inconnu – si nous voulons y entrer, il faut laisser notre corps en gage. (…)

Ernst JÜNGER, Graffiti, p. 78