Retour à Dresde

Depuis 2013, je reviens à Dresde chaque printemps. D’une année à l’autre, le temps peut varier énormément. En ce début mai 2017, il fait froid et gris. Le soleil perce à peine quelques jours, quelques heures.

La route m’est devenue familière : Anvers, Eindhoven, Venlo, le très long contournement des villes de la Ruhr, Duisburg, Dortmund, puis le grand élan pour couvrir les 150 derniers kilomètres vers Kassel et pour atteindre enfin mon étape à Warburg. La petite ville est étonnante, perchée sur son coteau, les rues escarpées, l’église, le château.

Le lendemain, je suis en route vers Dresde et je passe ma deuxième nuit dans un petit hôtel de Reichenberg. L’église, tout à côté, sonne les heures, les demies, les quarts. Elle est très ancienne, entourée d’un cimetière où je passe beaucoup de temps à examiner les tombes et à enregistrer d’incroyables oiseaux chanteurs.

 

Les merles de Dresde

Depuis plusieurs années, je passe deux semaines en Allemagne, à Dresde. Comme mon séjour s’écoule en général dans les premiers jours de mai, le printemps est à son plein et couvert de chants d’oiseaux. En 2016, j’ai enregistré pour la première fois un rossignol virtuose qui, obsédant, sonnait le réveil chaque matin dès l’aube dans le jardin de la résidence étudiante où j’abrite mon séjour studieux. Mais ce sont les merles qui occupent, chaque année, la plus grande partie de l’espace sonore. Dresde est bien arborée, les environs sont comblés de jardins, les bords de l’Elbe cachent des trésors de potagers et de vergers, et la forêt toute proche – la Dresdner Heide, est immense.

Dès mon premier séjour, j’ai été intrigué par le chant des merles saxons. Il me semblait que ces oiseaux-là ne chantaient pas la même partition que les merles de mon jardin lillois. J’ai posé des questions autour de moi, j’ai fait part de mon étonnement, sans trouver de réponse formelle à ce qui n’était – peut-être -, qu’une impression mais que je voyais confirmée d’année en année.

Jusqu’à ce que je découvre, par hasard, une communication au Collège de France1 de Martine Hausberger, de l’Université de Rennes. Elle est éthologue et, avant de s’intéresser au cheval, a longtemps étudié le chant des oiseaux, le rôle des relations sociales dans leur apprentissage. Elle confirme bien que les oiseaux ont, en quelque sorte, des « zones dialectales » de l’ordre de 150 km². Les chants sont donc différenciés, la transmission joue ici un rôle majeur, l’apprentissage n’est donc pas le même dans mon jardin du Nord de la France et en Allemagne. J’avais donc « entendu » juste. Au-delà de la petite satisfaction due à ce succès, j’ai été touché de comprendre que, dans chaque région d’Europe, il est possible d’entendre une infinie variété de chants, non seulement en fonction des espèces, mais – au sein d’une même espèce – en fonction du petit « pays » de chaque oiseau. La découverte est donc permanente.

Ecoutez ce petit gaillard :

Improvisation

En travaillant avec Martha Rodezno.

Elle nous rappelle « la main » de l’improvisation, à entendre comme les 5 doigts [5 éléments, à nouveau ?] de cette main:

  • le mouvement
  • la respiration
  • le son
  • l’imagination
  • la communication

Tout marche ensemble, et rien n’a lieu véritablement s’il manque un des cinq. C’est l’improvisation du danseur, du chanteur, du musicien, …

Elle utilise cette image intéressante: il ne suffit pas de mettre les ingrédients dans la marmite, il faut aussi du feu sous la marmite, pour que « ça prenne ». En d’autres termes, il est indispensable de générer une action, de donner de l’énergie pour que quelque chose se passe. Le lâcher-prise, oui, mais pas au détriment de l’engagement énergétique, de l’investissement dans l’action. Et cet engagement est corporel, physique. Si l’improvisation a besoin d’une forme de lâcher-prise (ou comment oser …), il ne fonctionne pas dans la pure écoute passive, mais dans cette « réciprocité actuante » où chaque danseur, acteur, musicien improvisateur est actif, à un niveau d’énergie suffisant pour être présent à soi et présent à l’autre.

Et la qualité du rapport à soi, authentiquement – mais comment l’évaluer, comme la mesurer ? – c’est surtout l’engagement, le choix délibéré de ne pas priver l’autre de soi-même.

Je danse

Fin mai 2014, je danse avec Thierry Heynderickx et Martha Rodezno. Dès les premières minutes de ces trois jours d’atelier, un grand moment de reconnaissance. Je m’y retrouve, presque étonné de cette soudaine fraternité ou comment leur projet commun et leur travail sur le mouvement, sur l’expressivité, sur les émotions, sur l’intime, rencontrent mon projet et le travail que je mène depuis des années avec les chanteurs. Il est question du même mouvement, de la même dynamique, de la même recherche…

Nous sommes quelques stagiaires, danseuses et danseurs, et d’autres, musiciens, thérapeutes. Beaux moments de découverte, d’échanges, de drôlerie, de vérité, de confiance en somme. Nous travaillons sur mouvement/immobilité; silence/son; intériorité/extériorité; solo/collectif, toujours dans la recherche de l’authenticité – autant que possible, du geste, de la posture, du regard, de la voix, du mouvement. Tout est dans le lien: lien à soi, lien aux autres, lien à ce qui nous entoure, nous englobe, nous pénètre: l’air, la lumière, les sons extérieurs familiers ou étranges, la chaleur des corps. C’est un tissage du lieu, du temps qui forme la trame de notre danse.

Très beaux moments de découverte bienveillante. L’attention est centrée sur la pensée positive. La pensée d’un encouragement de moi à moi, sur ce que je peux faire, ce que je sais faire, même déjà depuis/dans le moment de l’écoute immobile. Positive aussi dans le déploiement des possibles : ce que je n’ai pas encore fait, ce que je n’ai pas encore réussi à faire, les chemins encore inexplorés, ce qui reste à faire, ce qui reste ouvert. Je m’appuie sur mon expérience – un passé individuel et collectif, et construis un futur de même. Grande importance du collectif, même dans le solo, qui se déploie sous le regard (bienveillant) des autres. Continuer la lecture de « Je danse »