No habrá revolución sin canción

Dans le cours de ce très beau documentaire, il est dit: Une chanson bien construite vaut 100 discours. La force de la chanson est extraordinaire, elle réveille les consciences, porte la parole et la colère, les espoirs du peuple, et s'imprime dans les mémoires. Un peu plus loin, un chanteur (JuanaFé) ajoute: Si nous sommes capables de nous réunir pour danser, pour faire la fête, alors, quand viendront les moments difficiles, il sera probablement plus simple de nous rassembler parce que nous nous reconnaîtrons comme ne faisant qu’un.

Tâchons de nous en souvenir...

« Il n’y aura pas de révolution sans chanson » est un voyage musical à travers le Chili, une réflexion sur le pouvoir de la musique et une analyse des différentes formes qu’elle a pu prendre à travers son histoire, des années 70 à aujourd’hui.

L’enfer

L’enfer du vivant n’est pas chose à venir ; s’il y en a un, c’est celui qui est déjà là, l’enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons d’être ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première réussit aisément à la plupart : accepter l’enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage, continuels : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et le faire durer, et lui faire de la place.

Italo CALVINO, Les villes invisibles, p.189

Depuis que l’homme ne croit plus à l’enfer, il a transformé sa vie en quelque chose qui y ressemble. C’était le moins qu’il pût faire.

Ennio FLAIANO, Autre mode d’emploi du meilleur des mondes possibles, in Conférence n°32, p. 348

Et BOBIN, avec cet humour indéfinissable [Ressusciter, p.137]:

J’aime bien cet endroit, la décoration a du charme, dit la petite jeune fille qui se trouvait en enfer.

La totalité du son

Dans le travail d’ensemble, je demande que chaque chanteur/chanteuse fasse, lui/elle-même, la totalité du son; produise, pour soi, le son complet, l’expérience sonore complète, telle qu’il/elle voudrait l’entendre de la part de la totalité du groupe, et ne se contente pas de l’expérience sonore partielle de sa propre voix, dans la crispation inquiète d’une écoute individuelle, tournée vers soi, comme le seul fragment d’un tout. Faire tout le son, pas une partie du son !

Le résultat est significatif. D’abord parce que l’autonomie du chanteur comme sa capacité d’écoute s’en trouvent renforcées. Ensuite parce que la sonorité de l’ensemble gagne en densité, en rondeur, en plénitude. Avec pour effet, par la jouissance de l’écoute attentive, de renforcer le son commun dans le faisceau des voix individuelles.

La confrontation créative

Dans la pratique collective, il me semble important de ne pas évacuer – au nom d’une rencontre idéalisée, fusionnelle – la dimension de la confrontation.

La sonorité de l’ensemble se déploie dans la mesure où chacun y joue un rôle déterminant. Il est donc indispensable que les « egos » soient assez forts, individualisés, identifiés, pour que la rencontre ait lieu, sous cette forme qu’on appellera la « confrontation créative ». Il peut sembler paradoxal que la plus belle des cohérences naisse de la plus stricte individualisation. Et pourtant, quiconque pratique la musique le sait: le mariage des timbres comme la collaboration des personnalités créent la sonorité unique de l’ensemble.
 Il est clair alors que la musique naît d’une interaction et qu’elle n’est donc jamais un phénomène de reproduction, même à un très haut niveau de qualité. Le travail de la répétition est concentré sur cette interaction. Répéter pour tenter de reproduire un modèle idéal n’aurait aucun sens.

Entre les musiciens chanteurs, amateurs ou professionnels – cette distinction est encore moins pertinente ici que nulle part ailleurs, ce qui compte le plus est bien la capacité de coopération, entendue comme une confrontation ludique et féconde, tant en termes de compétence que de volonté.

[Je vous invite à découvrir l’article intéressant publié par Rue89, consacré au Trip to Asia de l’Orchestre philharmonique de Berlin. On y évoque notamment cette question de la confrontation: Le son de l’orchestre émane de la friction entre des personnalités très variées dans un espace très restreint.]